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27 décembre 2010
La maisonnée est assoupie. Hélène m’a autorisée à utiliser son ordinateur et je profite du calme matutinal pour consulter les statistiques de mon blog. Cette manie tourne au toc ! Elle devient une nécessité aussi impérieuse que le geste obsessionnel du fumeur !
Clic, clic. L’examen des graphiques vous calme tout de suite. Depuis mon départ mon site a reçu une ou deux visites par jour. Bientôt je toucherai le fond. Le Nouvel An approche et, à mon habitude, je vais prendre quelques bonnes résolutions, dont une que je TIENDRAI SANS FAILLIR. Au préalable, allons aux nouvelles.
Clic. Claude R. a mis son blog en pause –c’est rare.
Clic. CS-qui poursuit les publications de ses recettes et menus.
Clic, clic. Les récits de randonnées et de voyages de scouttoujours sont plébiscités, quoique le nombre de commentaires marque un léger fléchissement.
Clic. Tatiana ne se préoccupe guère de sa notoriété, mais ses photos artistiques lui assurent un flot constant de visiteurs.
Clic. Parteutatis attire toujours la foule.
Clic. Lucullus reste visible mais muet.
Clic – mon administration – clic, clic, CLIC : J’EFFACE TOUT.
C’est fait. Mon blog n’existe plus ! Ce geste audacieux ( ?) s’accompagne à la fois de soulagement et de regret. Celui d’avoir en quelque sorte effacé mon passé et rompu des liens amicaux, bien que virtuels. J’éprouve le sentiment d’avoir échappé à une drogue qui faussait la réalité. Libérée désormais de l’obligation de trier mes derniers clichés, de les mettre en page et de revivre la partie la plus désagréable de ma vie.
Alphonse, il faut le reconnaître, n’a jamais été avare avec moi. Ce qui me permit de sillonner l’Europe. Une ou deux fois par an je jetais mon dévolu sur telle ville ou telle région que j'explorais en voyage organisé. Plus tard, lorsque je fus assez aguerrie, je réservais une chambre ou un studio et j’employais mon temps à ma guise, soit seule soit accompagnée d’une ou deux amies. Mais ces périples ne présentaient pas le charme de ceux d’antan.
Alphonse et moi, nous avions évolué au cours de tant d’années de mariage. Nos caractères et nos cheminements divergeaient. Nous devenions étrangers l’un pour l’autre, lui, écrasé par le poids des responsabilités professionnelles et la démesure de son ambition ; moi, oisive, superficielle, indifférente au carriérisme. Son licenciement révéla la crise aiguë que traversait notre couple. Humilié, Alphonse devenait acerbe. Il me reprochait mon ignorance du monde du travail et des problèmes de société.
Nous avons été contraints de vendre notre appartement parisien, puis de nous rabattre sur celui que j’occupe aujourd’hui et qui n’avait vocation qu’à être loué. Les quatre années qui le séparaient de la retraite furent un calvaire. Lorsque Alphonse nous quitta, peu après l’avoir prise, je me sentis plus soulagée que triste. Pourtant je pleurai beaucoup sur nos années heureuses, celles de notre passion et de notre complicité ; sur le regret qu’elles se soient aussi vite envolées. J’aimais Alphonse. Celui d’autrefois, que je discernais encore, dans son âge mûr, à certaines expressions, à son regard, à ce qui transparaissait derrière les rides. En ces instants, je le retrouvais identique à ses jeunes années.
EPILOGUE
31 décembre 2010
7 h – A peine levée, Claude R. allume la radio pour créer un fond sonore pendant qu’elle prépare son petit déjeuner. Le bourdonnement des voix lui donne l’illusion d’une présence. En vérité, elle ne prête aucune attention à ce qui se dit.
Sur le point de refermer le flash info, le speaker annonce :
— Nous venons d’apprendre que l’écrivain controversé Aymard Faust de Krakoya se serait tué dans un accident de la route. Nous reviendrons avec plus de précisions sur cette information dans le journal de 13 h.
7 h 05 – Sébastien entend la nouvelle sur son autoradio. Son collègue rit et ironise :
— Encore un qui dans la réalité s’appelle Durant ou Dupont comme vous et moi !
10 h 12 – Le téléphone sonne chez les H. Melle H. décroche :
— Allo ! Oui ?... Oui… Ce n’est pas possible !... En es-tu certain ?... Je l’ai vu une heure ou deux avant… Renseigne-toi.
— Qui est-ce ? demande Mme H.
— Jean-Pierre.
— Qu’est-ce qu’il voulait ?
— Eric Bernard aurait été victime d’un accident de la circulation.
— Cela t’étonne ? Moi pas ! Malgré son air ahuri, il roule comme un fou !
13 h 02 – On se prépare à passer à table chez Paul. Il a invité Alice à prolonger son séjour en raison des conditions météorologiques. La conversation accapare les grandes personnes. Aucune ne remarque la petite Cécile qui sautille dans l’encadrement de la porte et serine :
— On voit la maison de tante Alice à la télé ! On voit la maison de tante Alice à la télé !
Cécile vient se balancer sur l’accotoir d’Alice et insiste :
— Ta maison passe à la télévision !
Distraite, notre voisine qui discute avec les adultes écarte sa petite-nièce :
— Oui ma chérie. Tu vois bien que je parle à ton grand-père. Retourne jouer avec tes cousins.
FIN
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20 décembre 2010
Nous ne saurons rien. Melle H. a refusé d’abattre ses cartes et ne nous a pas livré le nom de ce célèbre écrivain sensé faire les beaux jours de son salon de thé. Ce qui m’a valu une insomnie. Quel auteur contemporain pourrions-nous croiser ici sans que cela se sache ? C’est impossible dans une petite cité comme la nôtre ! A moins que Melle H. considère que la proximité s’étende au département, voire à la région…
21 décembre 2010
Bien que je n’aime guère me déplacer en cette saison, j’accepte volontiers l’invitation de Paul à passer Noël chez lui. Depuis la disparition de ses parents, en qualité d’aîné, il a pris l’initiative de réunir les siens au moment des fêtes, comme ils le faisaient autrefois. Bruno et Yves vivent sur place et chacun, à tour de rôle, invite les autres.
Que reste-t-il de ma propre famille ? Parents, oncles et tantes sont décédés. Mes relations avec mes cousins se réduisent à des échanges épistolaires à l’époque des vœux. Je recevrai une carte exotique de Sylvie qui doit à peine se souvenir de la France après toutes ses pérégrinations. Lequel d’entre nous aurait imaginé tant de distance à l’époque de nos vacances communes à Oléron ? La famille n’est au fond qu’un leurre, un lien fugace dans l’histoire des générations ; la rencontre évanescente de deux lignées qui se mêlent puis se séparent au fil des unions successives de leur descendance…
22 décembre 2010
Je pourrais profiter de la fête de la Nativité pour intercaler, entre les photos de carrelets et autres souvenirs estivaux, des vues de notre séjour en Israël, quand les frères ignorantins (ainsi désignés par Voltaire avec beaucoup de mépris) mutèrent Dominique dans un collège de Bethléem. A cette annonce, sa mère pleura de nouveau. Puis elle se consola quelque peu lorsqu’elle nous convainquit de passer Noël en Terre Sainte. Cette femme épuisée par la maladie déploya une énergie insoupçonnable pour mener à bien sa volonté ultime. Elle, qui toute sa vie, en épouse modèle, s’était effacée au profit des desiderata de son mari, se chargea de l’organisation du voyage, consulta diverses agences, compara les prix et les prestations, s’informa des circuits proposés et réserva elle-même nos billets ! Bruno et Yves, dont les enfants étaient encore très jeunes, ne nous accompagnèrent pas.
Ma belle-mère avait porté son choix sur un pèlerinage organisé qui laissait une certaine latitude dans l’emploi du temps. Ainsi pourrait-elle se reposer ou rendre visite à son fils tandis que nous nous joindrions à une excursion. A peine informé de son projet, son médecin poussa les hauts cris et pria mon beau-père de l’en dissuader. Elle courait à la mort si elle accomplissait un tel trajet en avion. Rien ne la fit fléchir. Sur place, sa santé s’altérait. Nous le constations tous, bien qu’elle rayonnât de félicité. Dès notre retour, elle déclara à son généraliste :
— Vous voyez, docteur, j’avais raison. Avec l’aide du Seigneur tout s’est bien passé et je suis encore vivante !
Elle s’éteignit huit jours plus tard, d’une embolie cérébrale.
23 décembre 2010
Mon blog attendra. Mieux vaut partir pendant que les routes sont encore praticables. Les services météorologiques annoncent un peu partout neige et verglas.
N.B. Ceci n’est pas un journal intime, mais une fiction.
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Elles arrivaient en vue de l’entrée du cours Morieux lorsque Axelle s’avisa de ce que Martine ne lui avait encore rien confié d’elle-même. Comme par étourderie, elle lui demanda :
-Et vous, qu’avez-vous reçu pour Noël,
-Une botte d’œillets, répondit Martine avec simplicité.
-Et quoi encore ? insista Axelle, soudain inquiète.
-C’est tout.
Axelle ne laissa rien deviner de ses sentiments. La conversation glissa vers des considérations banales au sujet de leurs professeurs. Mais intérieurement la stupéfaction avait déchaîné chez elle une tempête d’interrogations. Sans rancœur ni affèterie, Martine avait prononcé : « Une botte d’œillets. » Elle rapportait un fait brut qu’elle n’essayait pas de travestir d’un éclat dont il était dépourvu. Non plus qu’elle ne manifestait une quelconque animosité envers sa famille. C’était ainsi et c’était bien. Sa sereine maturité avait de quoi surprendre une camarade de son âge…
Elle n’était pourtant pas une pauvresse. Ses parents avaient sans doute un peu plus de difficultés que d’autres à élever leurs dix enfants. Mais rien dans sa tenue ne la distinguait des élèves privilégiées du cours Morieux. Axelle se sentait démasquée. A son insu, Martine lui avait tendu un miroir où elle venait de découvrir avec épouvante le visage odieux de la vanité. Elle n’eut pas immédiatement conscience de ce que cet incident fugace, et a priori de peu d’importance, aurait de déterminant dans son comportement futur. Elle avait appris, pour ne jamais les oublier, l’attention aux autres et l’acceptation de la vérité de ce que nous sommes.
Martine et Axelle traversèrent la rue. Le tourbillon pépiant des élèves en uniforme les happa et les entraîna à l’intérieur des bâtiments. Dehors, une petite pluie glacée lavait les dernières traces de neige sous le ciel devenu sombre.
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