• Quelques autocars circulent toujours malgré tout. A la surprise générale, j’ai décidé d’aller me réfugier à Préfailles. Si nous devons tout perdre au moins préserverais-je ce qui m’est le plus cher : le ciel et la mer de mon enfance ! Mon naturel plutôt timoré a fait place à une volonté inflexible. Autour de moi tout le monde s’affole. Il faut traverser Nantes, ville portuaire qui a la réputation d’être dure. Est-ce que je ne risque pas de me retrouver prise dans les émeutes ? J’aviserai sur place ! On me remet les adresses de personnes de confiance que je ne connais pas.

     

    Les abords de la gare routière paraissaient tranquilles. J’avais pu prendre ma correspondance sans problème. Les voyageurs étaient rares, le car presque vide. Mais à Bouguenais, à la hauteur de l’usine Sud-Aviation occupée, des piquets de grève obligèrent le chauffeur à stopper et à descendre de son véhicule. Qu’allait-il se passer ? Devrions-nous quitter l’autocar à notre tour ? Peut-être nous enjoindrait-on de rester sur place, ou bien encore de poursuivre notre route par nos propres moyens. Pour la première fois de mon existence j’ai éprouvé le vertige de la liberté. Nul ne savait que nous attendions là, en ce lieu exact. Si notre car était confisqué je partirais sur la route, à mon gré, par ici ou par là, sans que quiconque m’impose un itinéraire. J’étais à cette heure entièrement maîtresse et responsable de moi-même ! Soudain je pris conscience que le monde m’appartenait et qu’il ne tenait qu’à moi de partir à sa rencontre !

     

    Au bout d’un certain temps le chauffeur reprit sa place et nous roulâmes en direction de la côte sans autre incident…

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  • 1968 ! – Mai secoue le train-train de la société qui, dit-on, s’ennuie dans la prospérité montante. Mai 1968 jaillit comme un éclair d’espoir pour moi qui vis chez mes parents une existence tranquille mais dépourvue de relief. L’aventure se présente à notre porte. Le lycée de Louise et d’Albert a renvoyé ses élèves dans leurs foyers. L’essence manque, la poste ne fonctionne plus, les ménagères font des réserves de sucre et de farine. Le monde a repris une dimension humaine, c'est-à-dire à la mesure de nos déplacements à pied ou à bicyclette, de nos échanges verbaux, des villages isolés par la tourmente.

     

    Papa semble soucieux. Maman, que la tournure des événements exalte, dramatise à outrance. Elle voit la révolution en marche, les récoltes brûlées, la famine partout. Je me moque d’elle. « Tu ne sais pas ce que c’est que la révolution ! » s’écrie-t-elle excédée. Ironique, je réplique : « Et toi, l’as-tu vécue pour le savoir ? ». A la messe du dimanche elle a trouvé le best-seller de l’époque, le Petit Livre Rouge de Mao, dans son sac à main à la place de son missel ! Un matin une colonne d’automitrailleuses et de véhicules militaires descend la rue principale sous les yeux éberlués des habitants. Que se passe-t-il au sommet ? Sommes-nous encore gouvernés ? L’armée aurait-elle pris le pouvoir ? Ou bien roule-t-elle sur Nantes pour réprimer des manifestations ? En réalité il s’agissait (officiellement) d’exercices militaires prévus de longue date.


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  • Au milieu des années soixante grand-mère déménagea pour occuper une maison contiguë à celle de M.B. L’une et l’autre vieillissaient et l’hiver elles se retrouvaient presque seules dans leur quartier éloigné de tout. Elles firent installer entre leurs demeures respectives un système de sonnettes actionnées par des poires (comme celles des lampes de chevet de l’époque) pour s’informer l’une et l’autre  d’un péril, d’une urgence ou plus simplement de leur départ et de leur retour des courses. En outre, elles avaient fait ouvrir un passage muni d’un portillon entre leurs jardins. Nous disposions de beaucoup moins d’espace, mais nous apercevions toujours la mer entre les lambertianas et les tamaris des propriétés voisines et, surtout, nous gardions un pied dans la rue qui nous avait vu naître ma sœur, l’aîné de mes frères et moi !

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