• Une leçon - 1

    De la vitrine

    C'était un de ces matins de rentrée scolaire, voilà quelques décennies, au retour des vacances de fin d'année.  Le ciel tendu de neige laissait échapper de maigres flocons, comme pour prolonger la magie du Noël ouateux des crèches et des sapins.

     

    Axelle descendit du tramway. Le corps bandé en arc sous le poids de sa serviette de cuir blond, elle allongea le pas en direction du cours Morieux. La suite des vitrines, encore scintillantes de leurs parures de fête, excitait son impatience de revoir ses compagnes de classe. Ici un Père Noël automate ne promettait plus que des souvenirs, au milieu d'un parterre de dragées. Là une guirlande d'ampoules rouges  et vertes jetait ses dernières oeillades aux passants. Axelle leur lançait des regards hâtifs. Elle aurait tant à raconter, tout à l'heure, avant que sonne la cloche ! Elle aurait à décrire du merveilleux chargé de superlatifs. Les fêtes, les cadeaux, oui, mes amies, vous ne pouvez imaginer combien cette année ils surpassaient tout !

     

    Un détail toutefois altérait son enthousiasme : sa sœur et elle, parmi les jouets et les beaux livres, avaient trouvé chacune un blouson de cachemire d’un turquoise éclatant. En jeune fille bien élevée, Axelle avait remercié cependant qu’au fond d’elle-même, la déception atténuait le plaisir qu’elle avait eu à découvrir ses autres présents. Si précieux qu’il fut un vêtement présentait un désagréable aspect utilitaire incompatible avec l’éclat des fêtes. Un cadeau de Noël devait apporter à celui qui le recevait la part de féerie propre à le consoler des contrariétés de la vie. Un rêve peut-il se frotter au quotidien sans en être terni.? Dans ses souliers Axelle attendait d’innombrables paquets, gros d’objets futiles, surprenants ; bibelots et joujoux auxquels accrocher son imagination. Tout devait luire au plus profond de la grisaille hivernale.

     

    Elle allait contourner la place quand elle reconnu les boucles rousses de Martine, une élève de mademoiselle Sarazin. Axelle lui fit signe de la main et les deux fillettes se rejoignirent. Après avoir échangé des vœux pour l’année qui commençait, Axelle, trop heureuse d’avoir trouvé si vite une interlocutrice à éblouir, s’engouffra dans le premier silence qui se présenta. Elle submergea aussitôt sa camarade de la description intarissable de tout ce dont elle avait été comblée. Martine l’écoutait avec douceur. De temps à autre, elle se faisait préciser un détail, s’enquérait d’une émotion. Les paroles d’Axelle déferlaient sur cette auditrice attentive de qui elle ne craignait pas la contradiction.

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