Semaine 7

 

Il rôde comme un air de printemps qui entraîne avec lui les lieux communs de saison. « Avez-vous remarqué ? Les jours allongent. » « Aujourd’hui nous avons trois minutes de soleil en plus ! » « Attention, l’hiver n’est pas encore terminé. Il peut encore geler en février et même en mars. » Comme si la répétition naturelle de ces événements tenait chaque année d'un miracle  comparable à la liquéfaction du sang de saint Janvier à Naple ! La saison morte aurait-elle été à ce point longue et pénible que nous ne croyions plus au retour des beaux jours ? Déjà pourtant chacun se projette du côté de l’été.

 

Les chats ont repris le pouvoir dans le quartier. Personne ne sait s’il s’agit des anciens (déportés en rase campagne par Delyon), ou bien de nouveaux venus.  Quoi qu’il en soit, depuis deux nuits tout le monde profite de leurs abominables concerts amoureux, polyphonies de torturés. On se lamente du fond des lits : « Qu’ils cessent, à la fin ! »

Le faubourg semble émerger de l’engourdissement hivernal. On emménage, on déménage plus que de coutume. Le jeune couple du bout de la rue est parti ; aussitôt remplacé par un autre et son bébé. Des étrangers habitent la maison réhabilitée, en face. Un apprenti loue maintenant l’une des chambres de bonnes de l’ancien hôtel particulier. Des livreurs ont déposé du mobilier chez Sébastien, très affairé par la préparation de son prochain mariage.

En revanche chez les dames Hermenier rien ne bouge. Leurs voisins ne croisent plus que leur femme de ménage le mardi et le vendredi, ainsi que l’aide-soignante qui veille maintenant sur madame Hermenier. Il se murmure qu’Adèle Hermenier quitterait son domicile aux aurores et ne reviendrait qu’à la nuit tombée. Mais quel crédit accorder aux rumeurs ?

 

L’entracte des soldes refermé, ses amies moins disponibles, Alice replonge dans l’ennui sans toutefois se laisser contaminer par la drogue de la télévision. De temps en temps elle prend sa voiture pour aller flâner en ville. Mais, seule, ses escapades perdent tout attrait. Alors quelquefois  elle retourne errer sur le net, se nourrir de la vie des autres, de leurs désirs, de leurs fantasmes ou de leurs souvenirs de voyages. Le web est un immense bazar à travers lequel circule une foule de curieux insatiables. Quelques-uns cherchent à s’instruire, d’autres à se distraire. On y trouve tout, y compris l’amour. Aurait-elle l’audace d’essayer un site de rencontres  au risque de s’enchaîner de nouveau ? Non, au fond elle préfère la liberté.

De son côté Claude déborde de projets. Mais elle peine à accéder à une documentation riche et spécifique à cause d’un manque de moyens  auxquel s'ajoute la certitude que, faute de temps, elle ne pourra en conduire aucun à terme. La maladie progresse en sourdine. Il y a le risque permanent qu’elle flambe soudain et que tout finisse. Elle aurait aimé se lancer dans la rédaction de fresques historiques. Mais elle n’est ni Homère ni Tolstoï. A défaut de réalisation, elle a couché des idées sur le papier, toutes en rapport avec le concept de TRANSMISSION (vie, éducation, savoir, biens). Elle a noté : Titre : Les Enfants de… (nom nubien ou autre région de l’Afrique du nord-est, à préciser) – une villageoise met au monde des jumeaux, garçon et fille – la fille est séparée ( ?) de sa famille, puis mère d’une fille qui entre dans le harem de pharaon, etc. – suivre les générations de mère  en fille, au gré des turbulences de l’histoire – parfois riches, parfois misérables – Rome, puis la Gaule, l’Allemagne.

Le garçon et sa descendance masculine en Afrique – jusqu’à esclavage en Amérique.

Epilogue : guerre 39-45 – lointaine descendance des jumeaux

                  Fille blonde aux yeux bleus – parents pronazis

               Garçon GI noir. Ils se rencontrent à la libération, s’aiment – préjugés des deux familles.

Sur une autre fiche, Claude a tracé : Transmission d’un métier, médecin, cordonnier ou autre – du haut moyen âge à nos jours – de maître à élève ou apprenti – aventure des savoirs – chaîne des héritages.

 

N.B. Ceci est une fiction