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    Le salon de thé (base)

     

    Semaine 5

     

    Alice a vu l’homme en grand. Monsieur Tchang dépasse à peine la taille d’un français moyen. Mais sa silhouette gracile et ses épaules larges le font paraître plus élancé que sa stature réelle. S’il est blond (il serait plus approprié de le décrire poivre et sel), ses yeux noisette (et non bleus comme l’a cru Alice) sont légèrement bridés, ce qui ajoute à son  charme. Mais nous en resterons là puisque nous ignorons tout autre détail qui le concernerait.

    Le soleil radieux irise les toits blancs de gelée. Il fait illusion. Beaucoup ont cru au printemps précoce. Héla non ! Il fait froid parce que nous sommes encore au creux de l’hiver. Alors chacun se calfeutre de plus belle en soupirant après les beaux jours. Sauf monsieur Delyon, désigné par les habitants de son quartier sous des sobriquets variés relatifs à son esprit chicaneur. Il s’affaire dans son jardin, les sens aux aguets. Pas un murmure, aucun mouvement ne lui échappent.

        Philippe !

    Monsieur Delyon lève aussitôt le nez de ses plates-bandes.

        Philippe ! répète une voix féminine exaspérée, dépêche-toi !

    Il ne repère aucun galopin dans les alentours.

        Ah, tu arrives enfin ! souffle la femme devant le perron.

    Monsieur-qui-ne-rate-rien écarquille les yeux comme une toute jeune fille approche de la dame en question. Elle porte un prénom de garçon ! Qu’est-ce que certains parents ne feraient pas pour se singulariser !

    Claude, qui rentre avec son chien à l’instant propice, se dit à part soi : « Philippe ? Philippe de Foix épouse d’Arnaud de Commines… Philippe, genre féminin, est passé de mode depuis plusieurs siècles. Au fond, pourquoi ne pas le remettre au goût du jour ? » Cependant que Varech tire, tire, en direction d’Alice qui se dirige vers sa voiture.

        Il vous aime bien, s'amuse Claude.

        Je vois, répond Alice le sourire aux lèvres. Aïe ! Aïe ! Elle le craignait, il lui sera maintenant impossible d’échapper aux élans affectueux de la bestiole.

        Qu’il est mignon ! s’exclame madame Hermenier, surgie on ne sait d’où au bras de sa fille.

    Le petit chien, centre des attentions, agite sa queue, s’assoit en tremblant, esquisse le mouvement de tendre sa patte, puis la retire aussitôt. Il est peureux, mais doux, si sage et propre, jamais bruyant. Claude ne tarit pas d’éloges sur son compagnon. Chacune se récrie quant au charme indéniable de cette bête adorable. Alice, qui craint un piège, profite de l’attroupement pour filer à l’anglaise. Elle part quelques jours chez ses amis saumurois.

    « Ces bonnes femmes, toutes les mêmes ! » ronchonne Delyon entre ses dents au moment où madame Delyon apparaît sur le seuil de leur maison, une poêle à la main.

        Philippe ! J’ai un problème avec la cuisinière. Viens l’arranger si tu veux des crêpes !

     

    N.B. Ceci est une fiction

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    Le salon de thé (base)

     

    Semaine 4

     

    Un appartement vient d’être évacué ; un autre se remplit. Des quadragénaires et leurs deux filles adolescentes ont emménagé dans l’appartement vacant depuis des mois au premier, au-dessus de la tête  d’Alice. « Tant mieux, se réjouit-elle, ils chaufferont mon plafond. » « Chouette, renchérit Sébastien, j’aurai les pieds au chaud. » Tandis que Claude soulagée se dit qu’elle dépensera moins de gaz. Mademoiselle Hermenier, quant à elle, considère ces arrivants comme de futurs hôtes de son salon de thé en cours d’élaboration.

    Depuis qu’elle en a eu l’idée, elle ne cesse de remanier ses plans. Elle échafaude, remet à plat, construit, améliore, démolit pour tout reprendre à partir de l’inspiration initiale. Elle ne renoncera pas, soyez-en certains !

    Que feront monsieur et madame Bernard de ces mètres carrés hérités de feu leur fils Aymard Faust de Krakoya ? S’ils les vendaient, elle les acquerrait volontiers. Elle les transformerait en chapelle littéraire dédiée à la gloire du génie disparu. Tout un chacun aurait la possibilité de s’y exprimer et de consulter ses œuvres…

    S’ils les louaient ? Sébastien, qui bientôt vivra en couple, descendrait bien d’un étage et s’accommoderait d’un logement plus spacieux que celui qu’il occupe sous les toits. Quoi que les parents Bernard décident, Claude Roux apprécierait d’avoir des voisins de palier. Mais monsieur et madame Bernard sont repartis sans faire part à qui que ce soit de leurs intentions. Aussi chacun –en secret- reste-il dans l’expectative.

    Seule Alice ne porte pas attention à l’appartement libéré dans la mesure où le sien, le mieux orienté de tous, lui convient tout à fait. Elle est surtout attentive aux mouvements qu’elle peut percevoir au-dessus de sa tête. A vrai dire les nouveaux occupants se manifestent peu : des pas feutrés, une chaise traînée, parfois la chute d’un objet, jamais d’éclats de voix. Elle les écoute vivre au rythme de leurs allées et venues. Le père descend le premier, assez tôt le matin, à l’heure où elle-même prépare son petit déjeuner. Plus tard la mère passe derrière sa porte avec ses deux filles. Elle devine leurs bavardages à mi-voix lorsqu’elles arrivent à sa hauteur. Toutes les trois rentrent pour le repas de midi, repartent, puis reviennent vers dix-sept heures. Le père arrive souvent aux alentours de dix-neuf heures. C’est une famille calme et organisée. Que souhaiter de mieux ?

    Dès qu’elle aperçoit le facteur, tante Alice se précipite sur sa boîte aux lettres. Ce n’est pas qu’elle attende quelque chose de particulier, mais elle espère plus ou moins la réception d’un pli qui pimentera le train-train dans lequel elle s’englue. Et justement  ce matin un détail retient son attention. Sur la boîte de ses nouveaux voisins, elle lit : Jérôme et Aurélie Tchang. Tiens ! Tiens, tiens… Un grand presque blond aux yeux bleus avec un nom chinois ? Ce n’est pas commun !

    Rappelons à propos que notre voisine n’est pas commère, elle recherche des distractions !

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    Le salon de thé (base)

     

    Semaine 3

     

    Peut-on se déprendre de ce que l’on a adulé ? La chose paraît difficile. Alice, notre voisine, ex-blogueuse, constate à ses dépens que clore son blog n’est pas renoncer à muser dans le labyrinthe d’internet. Le virus de la curiosité la titille encore. Elle n’allumera pas son ordinateur. Non, elle l’a dit, juré mordicus ! Mais l’appareil est là, tapi dans un recoin du salon, qui la nargue.

    Bien vite le besoin de nouvelles la harcèle. Que deviennent scouttoujours, CS-qui, Parteutatis,Alice Tatiana, Claude et tant d’autres avec lesquels elle n’entretenait que des relations intermittentes ? La première fois Alice s’est contentée de jeter un coup d’œil curieux à travers la lucarne de son écran, juste pour examiner les réactions provoquées par son éclipse inattendue. Mais – et elle en est plutôt dépitée- personne n’a mentionné sa défection. Claude aurait dû s’en étonner. A moins que la disparition soudaine de taratata ne l’ait vexée…

     Or Alice ne se trompe pas en ce qui concerne Claude Roux. Celle-ci, en son for intérieur, a été Claudefroissée par l’annulation de son blog. Elle a cru aussitôt, à mauvais escient (nous le savons), que sa voisine du rez-de-chaussée évitait ainsi le risque d’une familiarité de mauvais aloi. Elle a été tentée à son tour de fermer le sien. Toutefois elle s’est très vite ravisée : c’eût été entrer dans le jeu de madame Alice Vergnaud ! Plus que jamais elle doit persévérer, bien que les résultats ne soient pas à la hauteur de son ambition.

    Rien de ce qu’elle espérait lors de la création de son site n’a pris forme. Elle l’avait imaginé comme un tremplin vers la notoriété ; la reconnaissance de ses qualités d’historienne. Elle avait rêvé que quelque éditeur prendrait contact avec elle et lui proposerait d’approfondir les thèmes qu’elle avait abordés, dans un ouvrage savant. Au lieu de cela ses écrits sont engloutis dans l’océan des publications virtuelles. De plus, sauf Parteutatis, les contacts qu’elle a établis sur la toile ne valent presque rien…

    Aussi fût-elle surprise, en milieu de semaine, de lire un commentaire signé non pas taratata, mais Alice votre voisine. Une fois de plus elle s’était fourvoyée quant aux intentions d’autrui !

    Il suffit parfois de trois mots tapés sur le clavier pour ensoleiller une journée.

    En fin de semaine des déménageurs sont venus vider l’appartement d’Eric Bernard, suivis par une société de nettoyage. Claude a ressenti une douleur sourde du côté du cœur. Au fond elle regrette cet homme tranquille et serviable. Sa présence dans le logement contigu au sien la rassurait. Qui sait ce qui lui succèdera…

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