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    Le salon de thé (base)

     

    Semaine 2

     

    Claude Roux, qui d’habitude répugnait à recevoir quiconque à cause de la modestie de son intérieur et de la médiocrité de ses ressources, ouvrit tout grand sa porte aux Bernard éplorés.

    Il n’y avait nul calcul dans son geste. Il était motivé par une véritable compassion envers des parents éperdus de douleur et d’incompréhension parce qu’à la mort de leur fils adoré s’ajoutait la découverte d’une facette inconnue de sa personnalité. Ils restèrent longtemps, effondrés sur leur chaise. Elle les écoutait sans trouver les mots qui consolent. Elle n’était qu’une oreille attentive à leur déréliction. Que dire ? Que souhaitait-on entendre en de pareilles circonstances ? Elle ne savait pas.

    Monsieur Bernard s’appesantissait sur ses regrets. Il avait tout fait pour son gars, son fils unique qu’il avait poussé aux grandes études et qui l’avait renié en se cachant derrière un faux nom ridicule. Madame Bernard n’avait pas conscience d’avoir étouffé les élans spontanés d’Eric sous ses principes moralisateurs de mère castratrice.

     

    Les Bernards

    Claude tenta de les apaiser. Elle entreprit de leur démontrer qu’il ne s’agissait après tout que de débordements imaginaires, expression de son génie littéraire. Néanmoins ces gens intègres persévéraient à craindre l’influence néfaste de leur fils sur les esprits faibles. De tels livres… ils s’en seraient débarrassés !

    Mademoiselle Roux et les Bernard se séparèrent sur ce malentendu. Claude ressentit leur entrevue comme un échec de plus. Adolescente elle avait cru qu’il suffirait d’être instruite et convaincue pour amener ses interlocuteurs à partager ses idées. Mais l’ignorance se révélait souvent têtue.

     

    Ainsi vont les jours… Tandis que l’une s’afflige et se replie sur le passé, l’autre s’enthousiasme et envisage l’avenir avec allégresse. Celui dont nous parlons n’a guère plus de vingt ans, soit quelques décennies à occuper devant lui.  C’est une perspective très lointaine ; une éternité dont il ne distingue pas la ligne d’horizon.

    Sébastien ne se sent plus de joie.

    Sébastien se mariera dans quelques semaines. Aude, sa petite fleur, partagera chaque instant de son existence. Cette jeune fille, nous ne la connaissons pas encore. Pourtant elle a dû accompagner quelquefois jusqu’au « pigeonnier » de notre infirmier l’un ou l’autre groupe de gais compagnons. Mais dans cet immeuble cossu, qui se soucie d’amis qui ne font pas d’esclandre ? A moins que le vieux grincheux, en face, n’ait remarqué certaines allées et venues. Mais nous l’ignorons.

    De son côté Adèle Hermenier réfléchit à la façon d’exploiter au mieux la dépouille encore chaude, cependant que madame mère hausse les épaules aux élucubrations de sa fille.

     

    N.B. Ceci est une fiction

     

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  • Le salon de thé (base)

     

    Semaine 1

     

    Parlerons-nous d’émoi dans son quartier à l’annonce de la disparition d’Eric Bernard, alias Aymard Faust de Krakoya, que la quasi-totalité des habitants ne connaissaient pas ? Il y eu surtout un moment de distraction quand cameramen et journalistes se répandirent sur les pelouses du château.

    L'hôtelClaude Roux souleva un pan de son rideau et le rabattit. La silhouette de Sébastien, le jeune infirmier, apparut quelques minutes dans le reflet d’une vitre. Les dames Hermenier restèrent confinées dans leur salon près de l’oriel, à l’abri des regards. La gazette du faubourg se contenta d’épier de loin les mouvements qui se produisaient autour de la propriété voisine de son jardin. Notons encore qu’on remarqua des allées et venues discrètes aux abords de l’ancien hôtel particulier. Ce fut tout.

    A vrai dire le décès d’Aymard Faust de Krakoya tomba on ne peut plus mal pour retenir l’attention, y compris dans les milieux bobos les plus avant-gardistes qui le portaient aux nues. L’heure était aux célébrations du Nouvel An et à la pagaille engendrée par les intempéries qui faisaient la une de tous les médias. Seuls de rares lecteurs éclairés relevèrent l’information.

    Bernard exigeait la retenue.  Depuis toujours il s’opposait à la divulgation de son portrait et refusait toute séance de dédicaces. Son éditeur avait érigé cette absence en mystère, excellente stratégie publicitaire ! A chaque sortie de l’un de ses ouvrages (et il était prolixe) on s’interrogeait quant à la personnalité de l’auteur. Maniait-il le cynisme avec autant de froideur que ses héros ? S’entourait-il de créatures dévergondées ? Ne s’exprimait-il qu’en provoquant ? Certains prétendirent même qu’une femme se cachait derrière ce pseudonyme baroque.

    Sans doute aussi bien ses admirateurs que ses détracteurs auraient-ils été déçus s’ils l’avaient rencontré. Car au regard de son entourage Eric Bernard n’était rien d’autre qu’un être falot, bridé par son éducation. Gentil, certes, toujours courtois, mais quoi de plus qu’une ombre à laquelle personne ne prêtait attention ? Sauf Adèle Hermenier qui (par quelle intuition ?) avait détecté en lui l’écrivain hors normes qu’elle inviterait à trôner au centre de son futur salon.

    Sur ces entrefaites, Alice –tante Alice, notre voisine ex-blogueuse- regagna son foyer. Elle apprit avec étonnement la disparition de leur voisin du premier étage, ce quadragénaire aux allures de jeune homme guindé, ainsi que tout ce que nous savons déjà à son sujet. Stupéfaite, serait un qualificatif faible pour exprimer son état d’esprit présent. Ce qu’elle venait de découvrir dépassait l’imagination.

    De quelque façon qu’elle envisageât Eric Bernard et Aymard Faust de Krakoya, Alice ne parvenait jamais à les confondre en une seule personne. Du second elle n’avait lu aucun texte. Les critiques dont elle avait pris connaissance ne l’inclinaient guère à se plonger dans des romans réputés difficiles, provocateurs et souvent libertins. Non, elle n’éprouvait aucun goût pour ce type de littérature. Somme toute, elle préférait s’en tenir à Eric Bernard qui ne dérangeait personne.

    Mais désormais mademoiselle Hermenier n’allait-elle pas renoncer à son salon de thé ?

     

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