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    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 19



    Adèle reprit ses investigations avec un enthousiasme décuplé par sa dernière trouvaille. Elle mit en ordre les feuillets suivants et se replongea dans le fil de l’histoire.

    Son récit achevé, monsieur Dessablettes s’était adressé à madame X. : « Ne bougez pas. Nous revenons tout de suite. » Puis, plus loin dans le corridor. « Hélène vous êtes en grand danger. Partez au plus vite ! Avez-vous où aller ?

    — Oui, mais…

    — Mais ?

    — Ma disparition brusque serait suspecte. Mes sœurs et Alcide risqueraient d’être interrogés, voire arrêtés. Non. Il est préférable que je reste et ne change rien à mes habitudes. J’ai confiance en monsieur l’abbé.

    — Vous savez Hélène, dans certain contexte la résistance humaine a parfois ses limites, y compris chez les plus valeureux…

    — Je prierai.

    — La prière n’est pas toujours le rempart le plus efficace contre les turpitudes du monde…

    — Et cette jeune femme ? Et son enfant ? Hélène détournait sciemment la conversation.

    - Nous allons les cacher ici le temps de trouver un moyen de les aider à fuir. Le manoir est vaste, les recoins ne manquent pas.

    — Etes-vous sûr de Marie-Thérèse ?

    — A dire vrai il est difficile de pénétrer ses pensées. Elle s’exprime peu. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai préféré l’éloigner un moment. Le cas échéant nous trouverons un moyen de la tenir à l’écart. »

    Ils étaient retournés auprès de madame X. qu’ils avaient tenté de réconforter un peu. Quand Hélène avait repris la route pour l’hôtel Préfailles, la jeune femme et son fils étaient installés dans une chambre quasi-oubliée qui donnait sur la forêt.

    Comme Hélène rentrait avec son filet de bicyclette empli de fleurs des champs, la mère Delyon, qui s’apprêtait à étendre un panier de linge au fond du jardin, lui annonça l’arrestation de l’abbé en compagnie d’un juif au petit matin sur la route de la Bessonnière. Hélène leva les sourcils. « Croyez-vous ? Qui vous l’a dit ?

    — Tout le monde le sait ! Depuis le temps qu’il est dans la paroisse ! On est tous dans le trente-sixième dessous, aussi bien que vous, mademoiselle Hélène ! » Elle avait déposé sa charge et, les mains sur les hanches : « Quelle honte ! Un si brave homme. Il paraîtrait que le curé et le maire vont essayer d’intercéder en sa faveur et de le faire libérer.

    — Mon Dieu ! Y parviendront-ils ? » La mère Delyon baissa le ton.  « Vous pourriez pas faire quelque chose, vous mesdemoiselles, qui êtes un peu en cheville avec eux ?

    — Nous sommes aussi impuissantes que vous. Ils nous obligent à les loger, c’est tout.

    — Pourtant, insistait-elle, ma belle-fille m’a raconté que l’officier prend le thé avec vous…

    — Certes pas !

    — Mais on a vu mademoiselle Yvonne au restaurant avec lui… » Elle plissait les yeux pour aiguiser son regard et le planter dans celui d’Hélène qui, si elle avait eu tant soit peu d’à-propos, lui aurait rétorqué qu’elle-même ne manquait aucune occasion de tirer avantage de  l’occupant. Mais Hélène, étrangère à la mesquinerie, ne savait que répartir pour excuser sa sœur. Satisfaite de l’effet produit, la femme de charge soupira et reprit son linge. Hélène effarée regardait sa silhouette pesante descendre les terrasses.

    Lorsque dans la soirée l’Oberleutnant était rentré, la table du salon était couverte de fleurs et de rameaux qu’Hélène et Sixtine triaient pour en former des gerbes. Yvonne, dans le bow-window, peignait un bouquet. Leur abbé ne reviendrait plus dans sa paroisse leur dit-il au passage. Et en prononçant ces paroles il fixait Hélène qui soutint un instant son regard. « Il va vous manquer, Hélène.

    — Bien sûr, ainsi qu’à tous ses paroissiens qui l’estiment. D’ailleurs aucun ne croit qu’un homme de sa probité puisse être condamné, avait répondu la jeune fille, posément. Nous ne doutons pas qu’il sera vite remis en liberté.

    — Il a enfreint la loi…

    — Quelle loi, dites-moi ? était intervenue Yvonne bien qu’elle eût semblé s’appliquer à parachever un détail.

    — Chère cousine, vous êtes donc ici ? Je ne vous avais pas remarquée », feignit-il. Et alors qu’il s’approchait. « Que de sensibilité dans vos œuvres. Continuez, je vous prie. Au fait, vous êtes invitée chez les Harvey. Ils comptent sur votre présence… et sur la mienne. » Yvonne avait paru ne rien entendre.

    Les jours qui suivirent, on aperçut, comme à l’ordinaire, Hélène se rendre à la chapelle avec un bouquet de fleurs fraîches ; Sixtine, selon son habitude, prendre sa bicyclette et attacher sa serviette sur le porte-bagages. Au contraire, Yvonne délaissa son automobile pour un taxi. Elle était chic ce jour-là, d’une élégance qui la rendait presque belle. Du vermillon soulignait ses lèvres au dessin parfait. Elle s’assit aux côtés de Balthasar zu Lobsteinbau sur la banquette arrière du taxi. Dès qu’elle s’adressait à lui, le jeune officier n’était plus attentif qu’à la corolle mouvante de cette bouche maquillée qui découvrait une rangée de dents blanches et régulières. Le désir de boire à cette coupe offerte le submergea soudain. Yvonne ne résista guère. La scène n’avait pas échappé à l’une de ces dames patronnesses qui circulait dans le voisinage et qui s’en fut prestement raconter l’affaire à ses commères. On jasa beaucoup en sous-main dans le bourg. Et la méfiance envers les châtelaines s’accrut.

    A la même époque les lettres en provenance de Préfailles se raréfiaient. Adèle se demanda s’il fallait en attribuer la cause aux aléas des communications en ces temps perturbés ou bien à leur destruction volontaire par Hélène qui aurait jugé leur intérêt négligeable. Dans deux très courts billets, datés d’août 1942, Liselotte remerciait Hélène de sa bonne lettre et indiquait que désormais seuls les résidents des  départements côtiers et limitrophes de la Loire Inférieure étaient autorisés à venir à Préfailles. Rien de madame Le Chahier.

    Fin septembre, par contre, Liselotte s’épanchait dans une très longue missive sur les malheurs du temps. Elle espérait que leurs touristes [n’étaient] pas restés longtemps et [n’avaient] pas trop fait de dégâts. De Préfailles elle entendait des tirs sans pouvoir en déterminer la provenance. Elle se lamentait sur cette guerre qui ruinait tant de consciences faibles. Elle racontait ses pêches solitaires pendant l’été. Son grand-oncle perdait de sa vigueur, moins à cause des privations que parce qu’il se désespérait de ne plus pouvoir contempler la mer (qui avait été toute sa vie) de sa fenêtre. Plusieurs fois Liselotte l’avait soutenu jusqu’au chemin des douaniers qui longe la corniche. Il rentrait revigoré. Mais bien vite il retombait en apathie. Mademoiselle Renant avait joint une liste de vêtements d’hiver qu’elle priait Hélène de lui envoyer.

    NB : Ceci est une fiction

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    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 18

     

    L’officier allemand s’était retiré dans sa chambre, persuadé que la gaucherie d’Hélène traduisait son absence absolue d’audace tandis qu’Yvonne, avec ses allures de comédienne en représentation,  était capable du pire. Toutefois, s’il avait mieux sondé les âmes, il aurait débusqué la nature profonde d’Hélène. Elle était de ces personnes effacées qui savaient davantage que quiconque faire front dans l’adversité et ne jamais s’en prévaloir. Sa timidité cachait une grande force de caractère.

    Les écrits et les notes d’Hélène n’étaient pas aussi explicites. Mais au fil des lectures le non-dit devenait toujours plus prégnant aux yeux d’Adèle Niessl. Elle sentait l’atmosphère s’alourdir ; elle devinait le tourment croissant des cœurs et de la chair d’êtres jeunes, pleins de passion, que la guerre condamnait à vivre sous le même toit sans se rencontrer.

    L’Oberleutnant zu Lobsteinbau avait cru son pressentiment confirmé peu de jours après l’obligation faite aux juifs de porter l’étoile jaune parce que Yvonne en avait très vite arborée une sur sa poitrine, marquée swing, et qu’elle se promenait en fredonnant « zazou, zazou, je suis zazou ! » L’allemand avait très mal pris cette comédie grotesque. Il avait pincé les lèvres et lui avait demandé combien de temps encore elle entendait poursuivre cette ridicule mise en scène. Sans se démonter l’aînée des sœurs Pochon lui avait répondu avec un sourire narquois : « Je suis maîtresse chez moi ! J’y fais ce que je veux ! 

    — Croyez-vous ? » avait-il rétorqué. Puis il avait tourné les talons.

    A peine était-il sorti, Yvonne s’était retrouvée face au tribunal de ses sœurs et d’Alcide qui lui enjoignirent de cesser à l’instant ses enfantillages, lesquels les mettaient tous en péril. Elle s’inclina. Tout était rentré dans l’ordre quand elle présenta enfin son portrait achevé au bel officier. Il en avait été si enthousiasmé qu’il l’avait invitée au restaurant… et qu’elle avait accepté.

    Adèle Niessl n’arrivait pas à cerner les raisons qui avaient déterminé la décision d’Yvonne. Avait-elle cédé à la tentation de sortir avec un homme que toutes les femmes lui envieraient ? S’était-elle compromise dans le but de protéger ses sœurs ? Ou bien avait-elle agit par inconséquence ? Quoi qu’il en fût, elle jouait dangereusement.

    Par une belle nuit chaude de juillet, un cri venu de l’extérieur réveilla Hélène en sursaut. Les chiens alertés aboyaient de loin en loin. Elle crut que son cœur allait se rompre d’épouvante. L’oreille aux aguets, elle avait entendu le branle-bas des allemands qui s’étaient éloignés en suivant le ravin. Cela avait été très long, interminable. Elle ne dormait pas, tentait de percevoir le mouvement des soldats jusqu’à ce qu’ils revinssent enfin.

    A l’heure du petit déjeuner elle avait interrogé ses sœurs et Alcide sur leur sommeil. Alcide avait dormi Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 18comme un loir, affirmait-t-il (mais il devenait sourd depuis quelques temps). Yvonne et Sixtine, dans leur semi-inconscience, avaient vaguement deviné des allées et venues autour de l’hôtel, rien d’autre. Elles attribuèrent sa frayeur à un cauchemar provoqué par un appel ou un bruit quelconque dans la maison. Cependant que la rumeur courait déjà dans le faubourg que la nuit dernière il s’était passé  quelque chose du côté du vallon.

    Que faire ? Il n’était pas question de se précipiter à la chapelle au risque d’éveiller la méfiance de l’occupant, non plus que de courir au presbytère dès le matin. Dans la crypte des fugitifs attendaient l’instant propice pour gagner la zone libre car la veille la ligne de démarcation, toujours fluctuante, avait été déplacée. Hélène prit sa bicyclette et annonça à ses sœurs qu’elle voulait profiter de la fraîcheur matinale avant que la canicule ne se levât.

    Arrivée à la Mésangère, monsieur Dessablettes avait ouvert lui-même la porte à son coup de sonnette. Comme elle s’en étonnait, il lui expliqua que Marie-Thérèse avait accompagné sa femme à Tours où celle-ci venait de subir une intervention bénigne mais susceptible de la fatiguer. De ce fait il n’avait pas voulu la laisser seule. Tout en discutant monsieur Dessablettes s’était dirigé vers la bibliothèque où Hélène avait eu la surprise de reconnaître madame X., les yeux rougis et qui pleurait encore. Son garçonnet dormait, allongé sur la méridienne. Hélène se sentit très mal à cette vue. Pâle jusqu’aux lèvres, elle avait eu peine à balbutier : « Qu’est-il arrivé ?

    — Tout est de ma faute, madame, avait répondu madame X. dans un sanglot. Mon Dieu, ô mon Dieu, comment ai-je pu ? Comment ? » La parole lui manquait ; les larmes l’étouffaient.

    Monsieur Dessablettes avait résumé le drame. Alors que le couple et son enfant étaient enfermés dans la crypte avec l’abbé qui devait les conduire en zone libre, madame X. avait été en proie à une crise de panique irrépressible, une espèce de démence fulgurante que rien ne pouvait ramener à la raison. Elle avait éprouvé tout à coup la sensation d’être emmurée vivante dans un tumulus et elle s’était mise à hurler sans que les deux hommes réussissent à la calmer. A l’agitation qu’ils avaient devinée autour de l’hôtel  à proximité, ils l’avaient entraînée jusqu’au plus profond des souterrains-refuges. La peur plus grande encore de ce qui se tramait au-dessus de leurs têtes avait annihilé son accès de folie.

    Ils allaient s’évader, quelques heures plus tard, lorsque madame X. s’était aperçue de la perte de l’un de ses boutons de manchettes –auxquels elle était très attachée- et elle avait commis l’erreur impardonnable d’essayer de le retrouver. Ils avaient, à cause d’elle, pris du retard. Déjà le jour se levait quand ils atteignaient les bois, à la périphérie de la Mésangère. L’abbé, qui les précédait, avait été repéré par une patrouille. Monsieur X. le suivait de peu. Il avait eu cependant le réflexe de pousser sa femme et son fils dans un fourré en leur soufflant : « A la Mésangère ! » et, pour les sauver, sans doute, de rejoindre l’abbé. Les deux hommes s’étaient débattus, le temps de distraire la curiosité des soldats.

    Adèle Niessl releva la tête et appela son mari afin qu’il vînt lire le passage d’un carnet et de quelques bouts de papier épars devant elle. « Lis ceci ! » Adèle jubilait. « J’avais raison, vois-tu ! C’est un nouvel indice. Te souviens-tu de ce bouton de manchette en or serti de nacre, découvert par les archéologues ? Voilà une question résolue. Nous pourrons leur communiquer la copie de ces documents.

    —Soit. Mais ce n’est pas non plus une nouvelle révolutionnaire.

    —Elle éclaire néanmoins une période de l’histoire locale dont il doit rester bien des zones d’ombre. De plus, je suis pour ma part convaincue de n’être pas au bout de mes surprises. Hélène Pochon ne se serait pas donné autant de mal pour des banalités ! »

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  • Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 17



    Par une belle matinée printanière, Yvonne, Hélène et Sixtine Pochon avaient enfourché leurs bicyclettes. Elles avaient roulé dans la campagne qui verdissait, cheveux et jupes au vent. L’air frais rosissait leurs joues. Dans les profondeurs de l’azur flottaient de petits nuages blancs pommelés et résonnaient les gazouillis des oiseaux. Au loin des coqs s’égosillaient, par intermittence une vache meuglait, des chiens aboyaient. Pâquerettes, primevères, boutons d’or émaillaient les fossés au pied des haies. Que la guerre paraissait éloignée, presque irréelle ! Vive l’indépendance !

    Félicité Dessablettes les avait invitées à partager avec elle un pique-nique dans le pré attenant au manoir familial, avant de rejoindre son poste d’infirmière de la Croix-Rouge. Ses parents, déjà privés de leur fils détenu en Allemagne, avaient consenti à ce nouveau sacrifice. Elle leur en était reconnaissante.

    Joyeuses et babillardes ces demoiselles avaient déplié sous le vieux tilleul une grande nappe à carreaux qui fleurait bon la lessive fraîche. Le jeu d’ombre et de lumière du feuillage faisait danser des moires sur les chevelures et les chairs et de ce tableau champêtre s’envolaient les rires complices des jeunes filles. Après le repas elles avaient échangé un breuvage à base d’orge baptisé tantôt café, tantôt thé, selon la préparation qu’il avait subie. Puis elles s’étaient allongées dans l’herbe pour la sieste.

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 17


    Hélène fixait le dôme céleste d’un bleu intense, pareil à certaines nuées qui précèdent l’orage. Elle aimait. D’un amour interdit par la guerre. Elle était éprise d’un visage qui accaparait ses pensées. Combien elle regrettait les hauts murs protecteurs de son pensionnat ! Du monde, de ses tragédies, de ses perversités ne parvenait aux internes qu’une rumeur inaudible. Elle aimait l’odeur rassurante d’encaustique des corridors au long desquels glissaient les silhouettes sombres des bonnes sœurs, les amitiés adolescentes. La vie paraissait si simple alors ! Il y avait le bien et le mal clairement démarqués, la succession ordonnée des heures, des jours et des fêtes, les règles de conduite en société. Il suffisait de s’y référer. Aujourd’hui il fallait faire des choix sans être assurée qu’ils fussent les bons, souvent improviser. Ses compagnes s’étaient assoupies. Hélène ignorait que le bel officier avait aussi touché leurs cœurs.

    A l’heure du goûter toutes les quatre avaient retrouvé les Senoir et leur grâcieuse petite Violaine chez les parents Dessablettes qui leur avaient offert un ersatz de thé accompagné de gâteaux secs. Egarés dans leur coin de campagne, coupé de tout, les Dessablettes avaient jusqu’ici échappé aux exactions. En cours de conversation quelqu’un aborda la question des locataires, en particulier du dernier arrivé, cet officier plein de prestance. Si les bouches critiquaient, certains yeux brillaient à son évocation.

    Au moment des au revoir, les trois sœurs avaient embrassé Félicité comme elles lui auraient fait leurs adieux… Ensuite la vie avait repris son cours normal. Yvonne peignait, Hélène s’occupait à ses œuvres, Sixtine, maintenant privée de sa confidente, se consacrait à ses quelques élèves. La passion qu’elles éprouvaient pour Balthasar (ainsi qu’elles l’appelaient en secret) leur insufflait le courage de faire face à la rigueur des temps.

    L’Oberleutnant zu Lobsteinbau, quant à lui, avait affiné ses manœuvres d’approche. Il avait en premier jeté son dévolu sur Yvonne comme la plus aisée à aborder. Un jour qu’elle était en train de montrer ses aquarelles à une amie, il était intervenu pour la complimenter. Puis il lui avait demandé si elle saurait faire son portrait. Elle avait accepté parce que, sur le point de refuser, elle s’était souvenue que Hélène fréquentait de plus en plus assidûment l’église et que le motif de ces dévotions ne relevait sans doute pas de ses seules convictions religieuses. Elle espérait ainsi le détourner de l’attention qu’il pourrait porter à sa sœur. Sans qu’un seul mot eût été échangé Hélène avait deviné sa motivation, à la différence de Sixtine qui s’en était prise violemment à son aînée et l’avait accusée de se compromettre avec l’occupant. En vérité la jalousie, qui ne révélait pas encore sa nature, commençait à la tarauder.

    A la lecture des courts textes et des réflexions notés par Hélène dans ses calepins, Adèle Niessl conjectura qu’Yvonne était surtout très narcissique et qu’elle avait trouvé en son modèle un spectateur de choix. Celui-ci s’en amusait et attendait son heure. Il posait quand son temps libre le lui permettait. Alors Yvonne déployait la gamme de ses extravagances. Il la vit coiffée à la grecque avec des fleurs piquées dans son chignon, à la Bérénice, en tresses, etc. bien que le plus souvent elle portât ses cheveux bouclés étalés jusqu’à la ceinture.

    Lors d’une séance Hélène allait sortir lorsque l’officier lui fit signe. « Seriez-vous si pressée, mademoiselle ? Restez donc avec nous. » Sa sœur lui avait jeté un rapide coup d’œil que l’allemand n’avait pas eu le temps de remarquer. Par chance aucune obligation n’attendait Hélène à l’extérieur. Elle cherchait seulement à se distraire de l’ennui qu’elle éprouvait chez elle. C’est pourquoi elle avait acquiescé avant de s’asseoir en leur compagnie, à la fois embarrassée de ce tête à tête et touchée de l’intérêt que le jeune homme lui portait. En chaque parole qu’il lui adressait elle croyait déceler une déclaration d’amour. Yvonne feignait de ne s’apercevoir de rien et menait la conversation avec légèreté.

    Sur ces entrefaites la belle-fille Delyon était venue prendre des ordres pour le lendemain. Elle avait cru ne pas être dupe de cette réunion amicale. Elle ne s’était pas trompée, pensait-elle. Mais après tout les Delyon avaient aussi leurs petits arrangements. Dans l’adversité, chacun pour soi, se dit-elle, il n’y a que le système D qui vous sauve.


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