• Votre feuilleton du week-end : Le Salon de thé 19

    Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 19

     

    La nuit ramène dans ses ténèbres les angoisses les plus enfouies. Adèle ne dort pas. Elle mesure son inconscience. Elle vient de poser le pied au bord d’un précipice qui risque de l’engloutir tout entière, corps et biens. Comment a-t-elle pu se lancer dans une activité sans en avoir la moindre expérience ? Ille se tourne et se retourne entre ses draps, l’esprit empêtré dans de diaboliques calculs qui tantôt lui font entrevoir des bénéfices pharaoniques, tantôt lui démontrent qu’elle sera dès demain ruinée jusqu’à sa dernière chemise. Ce n’est que le premier jour, à peine quelques heures d’exercice, lui chuchote la fragile voix de l’espérance. Adèle va s’abandonner au sommeil. Mais au moment d’y sombrer une nouvelle anxiété réveille ses tourments. Elle a oublié d’inviter les journaux locaux ! Son inauguration est un fiasco dont elle ne se relèvera pas ! Mieux aurait valu qu’elle gardât son poste d’universitaire.

     

    Le lendemain de l’ouverture, à 13h31 tapantes, Alice Vergnaud franchissait le seuil chez Adèle H. Plutôt que de boire son café seule devant la télévision, elle avait décidé de le prendre au salon de thé et de s’offrir en sus un dessert. Après tout le dimanche est un peu un jour de fête. Puisqu’il ne se présentait aucun client, mademoiselle Hermenier décida de s’inviter à la table de notre voisine et de savourer un moka en sa compagnie. Elles parlèrent d’abord de tout et de rien, puis des tableaux accrochés sur les murs. Alice avoua sa méconnaissance, pour ne pas dire sa répulsion de l’art du 21e siècle auquel elle n’était pas sensible. Ainsi, que signifiait cette vieille chaussette collée sur une éclaboussure de peinture rouge ? Un enfant de dix était capable de pondre un tel chef-d’œuvre ! Mademoiselle Hermenier argumentait, défendait ses choix, mais ne convainquait pas. Il faudrait du temps et beaucoup de pédagogie pour initier le regard de tous ces gens. Mais elle ne désespérait pas d’y parvenir.

    L’horloge tournait. La salle restait déserte. Madame Hermenier fit une brève apparition. Après avoir salué Alice, elle se dirigea vers la fenêtre, parut vérifier la couleur du ciel, puis s’en retourna. Notre voisine se leva enfin et Adèle Hermenier se retrouva seule derrière ses rangées de gâteaux présentés avec soin dans la vitrine réfrigérée. Le doute l’oppressait. Et si les invités d’hier n’étaient venus que par principe de bon voisinage ?  Et si… Sa réflexion s’arrêta net. Monsieur et madame Dessablettes, mademoiselle Di Felice entraient.  Ils précédaient une dizaine de personnes qui s’exprimaient à haute voix. Dessablettes présenta les membres de son association parmi lesquels prédominaient les têtes chenues.  Mademoiselle Hermenier les invita à s’installer, distribua les sachets qui lui restaient de la veille et nota les commandes. Elle se sentait revigorée.

    Au milieu du brouhaha des conversations, de temps en temps l’un ou l’autre lui adressait un signe pour réclamer encore un thé, une orange pressée ou de nouvelles parts de gâteau. Les tranches de cake se trouvèrent vite épuisées. Ils durent se rabattre sur les tartes. Mais personne ne semblait vraiment en tenir compte, tous absorbés par les débats en cours.

    Attirée par le bruit, madame Hermenier se montra et prit le parti de se joindre à eux. A titre d’enseignante retraitée la vieille dame ne manque jamais de tendre des pièges discrets à ses interlocuteurs et, mine de rien, de leur faire la leçon. Son charme joue en sa faveur. On la quitte satisfait d’avoir appris quelque chose sans avoir eu à trahir son ignorance. Mais au moment de se séparer elle a le coin de l’œil qui frise ;

    Madame mère écoutait, enregistrait et préparait de futures entrevues. Sauf sa fille, nul ne prêta attention aux Mukaschturm qui gagnèrent la table de l’oriel. Mademoiselle Hermenier leur souhaita la bienvenue, leur remis son dernier sachet et enregistra leur choix : chocolats mousseux, tartes à la pistache et aux abricots. A cet instant monsieur Dessablettes la héla et, dans le silence rétabli, il parla au nom de tous :

    —L’endroit nous plait tout à fait. Comme je vous l’ai déjà expliqué, nous cherchions un lieu où tenir nos réunions littéraires une fois par mois. Si vous en êtes d’accord, nous pourrions les organiser chez vous.

    —Pourquoi pas ? Répliqua-t-elle, prise au dépourvu. Nous en reparlerons si vous le voulez bien. Nous nous mettrons d’accord sur les conditions. A priori je n’y vois pas d’inconvénient…

    Elle se fit applaudir et la rumeur des bavardages reprit de plus belle jusqu’à l’heure de la clôture.

    Quand tout le monde fut parti Adèle se laissa choir d’un bloc dans une chauffeuse du bow-window. Ces vieillards étaient plus épuisants qu’une classe de lycéens ! Heureusement le salon de thé restait fermé le lundi.

    Ce soir-là elle s’endormi comme une masse.

     

    Très vite Alice prit le pli de venir boire un café entre 13h30 et 14h. La plupart du temps le salon était encore vide et mademoiselle Hermenier s’asseyait à sa table.  Elles échangeaient au sujet de leurs lectures, de leurs voyages, des événements du jour… A part Alice Vergnaud le mardi fut bien calme. Le mercredi plusieurs mamans accompagnèrent Aurélie Tchang et ses enfants. Le cadre ne manquait pas d’attrait et elles promirent de revenir. Le jeudi l’office du tourisme lui envoya deux couples de passage dans la région. Le vendredi Adèle regretta presque d’avoir ouvert. Ce fut ce jour-là que le chef des élagueurs chargés de débiter l’arbre abattu frappa à sa porte. Sous la souche ses hommes avaient découvert une cavité maçonnée, peut-être l’amorce d’un souterrain. Il convenait d’en avertir la mairie qui aviserait la préfecture le cas échéant. Mademoiselle Hermenier cru être anéantie sous ce nouveau coup.

    Voûte

     

    N.B. Ceci est une fiction

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