• Votre feuilleton du week-end : Le Salon de thé 20

    Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 20

     

    Aussi longtemps que les travaux ne seront pas entrepris, le jardin des Hermenier restera fermé au public. Adèle Hermenier s’en désole. Son meilleur atout lui échappe. Au mieux elle ouvrira les fenêtres si la chaleur persiste.  La semaine dernière a été maigre. Mais ce dimanche, dès le début de l’après-midi elle est obligée d’abandonner Alice pour se consacrer aux clients qui affluent.

    Parmi eux se glisse Claude Roux, Sébastien (sans Aude qui assiste à un colloque), Quentin et Cafédeux copains, le jeune couple du bout de la rue et son bébé, les Delyon qui prennent de l’assurance. Ils se rapprochent subrepticement des banquettes, le cœur du salon, où viennent de s’installer monsieur Tchang et ses deux filles. Tout ce monde papote et déguste des douceurs entre deux gorgées de thé ou de jus de fruit. Mademoiselle Hermenier ne sait pas où donner de la tête. Il n’est plus question de jouer à la maîtresse de céans.

    Une exclamation perce le bruit de fond.

    —Ah ! Monsieur Tchang !

    Philippe Delyon a sursauté. Près de lui quelqu’un répète ce nom et discute avec l’interpellé. Voici que sa nature profonde resurgit au galop. Cela le chatouille, le gratouille, le démange de partout. L’aiguillon de la curiosité le torture. Il n’en peut plus. Il faut ; il faut… Cela lui échappe ! Il se penche vers monsieur Tchang :

    —Vous êtes d’où, vous ?

    —D’ici, répond monsieur Tchang éberlué par l’insolence du ton.

    —Je sais, continue Delyon sans vergogne. Mais vous êtes né où ?

    —A côté de Bourges…

    —Ben vous portez pas un nom berrichon ! s’écrie Delyon, incapable de se maîtriser.

    —Et vous ? réplique monsieur Tchang revenu de sa stupeur.

    —De Lyon, comme l’indique mon patronyme !

    Un silence embarrassé envahit la salle. Jérôme Tchang rit :

    —Oh ! Vous faites allusion au nom hérité d’un aïeul ? Il venait du Chantoung.

    —C’est où,  ça ?

    —Dans le nord de la Chine.

    —Alors vous êtes chinois ? insiste Delyon pendant que madame se concentre sur sa fourchette à dessert et la fait tourner entre ses doigts avec l’air d’y chercher un défaut.

    —Si peu aujourd’hui, s’amuse monsieur Tchang. En réalité je suis un huaqio.

    Autour d’eux on tend l’oreille.

    —Je suis un huaqio, un descendant des migrants de Chine à l’étranger.

    Là, tous sont intéressés et se retournent.

    —Que savez-vous de cet ancêtre ? interroge Claude Roux qui se passionne pour l’histoire dans l’Histoire.

    —A vrai dire, presque rien. Nous avons oublié le prénom de cet aïeul. Il ne nous reste qu’une photo défraîchie de lui avec notre arrière-grand-mère et leurs enfants, mon grand-père âgé de  deux ans, et sa sœur qui était bébé, ainsi qu’une lettre indéchiffrable et deux ou trois menus objets apportés de Chine.

    —Dans quelles circonstances est-il arrivé en France ?  Le voyage devait être éprouvant à cette époque, poursuit Claude Roux.

    —Pour autant que nous sachions il appartenait à ces travailleurs recrutés en Chine afin de compenser le départ de la main d’œuvre française sur le front pendant la Première Guerre Mondiale. Il était accompagné d’un frère qui mourut très vite. Lui-même est décédé peu après que la photo a été prise, selon la version, soit de la tuberculose soit des suites d’un gazage pendant la guerre.

    —C’est un épisode occulté de la guerre de 14, ajoute Claude Roux. La plupart de ces hommes jeunes étaient des paysans pauvres du nord de la Chine. Ils étaient parqués dans des camps et travaillaient comme des forçats. Presque tous furent rapatriés après 1919. Votre arrière-grand-père fait exception. Savez-vous pourquoi il est resté ?

    —Par amour, je présume, sourit Jérôme Tchang. Devenue veuve mon arrière-grand-mère est revenue vivre dans la ferme familiale, en Berry. Elle s’est remariée avec un paysan du village qui a élevé mon grand-père et sa sœur avec ses propres enfants. Ma culture est celle de la France profonde.

    —Sans doute avez-vous de lointains parents en Chine. Ne les avez-vous pas recherchés ? s’enquiert quelqu’un.

    —C’est probable. Certain même. Mais comment les retrouver après tant d’années et avec aussi peu d’éléments ?

    Sans le vouloir, Delyon venait de lancer un objet de discussion qui occupa beaucoup les langues jusqu’au soir et même au-delà.

     

    La semaine est si calme qu’Adèle Hermenier désespère de réussir à faire vivre son commerce. Madame Hermenier erre claudicante et silencieuse. Alice, notre voisine, reste fidèle à son café quotidien dans le salon de thé. Rares sont ceux qui prêtent attention aux œuvres exposées. Les relations sur lesquelles mademoiselle Hermenier tablait tardent à se manifester.

     

    Les chinois de la Première Guerre Mondiale

     

    N.B. Ceci est une fiction

    « Paysages - Landscapes - ПейзажиSécheresse - Drought »
    Yahoo! Google Bookmarks

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :