• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 12

     

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 12



    Un nouvel espace blanc s’ouvrait entre mars 1940 et le 30 juillet de la même année, date à laquelle Hélène avait reçu une assez longue lettre de Liselotte qui lui narrait avec force détails l’occupation des Ecumes de Mer par les troupes allemandes. Une plaisante périphrase introduisait son récit : «  Comme vous, nous sommes abondamment occupés. » Les réfugiés partaient ; « les habits verts » les remplaçaient.

    Adèle apprenait ainsi que le grand-oncle de mademoiselle Renant avait été relégué avec elle dans son logement où ils se trouvaient fort à l’étroit et bénéficiaient d’un moindre confort. Selon la jeune femme l’occupant « avait toujours été très correct » mais « déménageait tout ». Il leur avait fallu, avec le concours de madame Le Chahier, de sa femme de ménage et de leur jardinier , récupérer tous les bibelots, toiles et quelques meubles précieux des salons pour les entreposer à La Goélette qui en était encombrée. Par ailleurs ils avaient transporté une grande partie de la bibliothèque dans sa propre chambre. Elle se plaignait de ce que, si les salons étaient très bien tenus, il n’en était pas de même des greniers au pillage et des remises vidées pour servir d’écuries à leurs chevaux. La voiture de monsieur Quillet était abandonnée dans un coin de la cour. Elle ajoutait : « Nous entendons très bien les bombardements de la région. Préfailles est trop petit pour l’être aussi. » Pour conclure, Liselotte remerciait les sœurs Pochon de leur offre d’hospitalité dans le cas où la situation viendrait à dégénérer du côté de l’Atlantique. Avant de terminer, elle se disait heureuse que leur fermier Delyon ait eu enfin des nouvelles de son fils, libre et en bonne santé, bientôt de retour parmi eux.

    De son côté madame Le Chahier se réjouissait de ce que les deux petites maisons basses qu’elle louait l’été n’avaient pas été « embrigadées » comme presque toutes les habitations inoccupées une partie de l’année. Elle aussi avait décliné l’invitation de ses petites-filles à les rejoindre au R… parce que d’une part elle voulait surveiller ses biens et d’autre part elle craignait à un moment ou à l’autre d’être coupée de son village natal et de ne pas pouvoir y rentrer. En revanche elle leur avait fait parvenir une malle pleine de vêtements et d’objets ou papiers auxquels elle tenait. Elle les rassurait : elle pouvait compter sur Liselotte.

    Les petits carnets d’Hélène (car Adèle Niessl l’avait identifiée comme seul auteur Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 12des notes dont ils étaient pleins) ne formaient pas à proprement parler un journal, mais une suite de brèves annotations, de faits divers, d’effusions sous le coup d’émotions générées par les événements, le tout consigné d’une écriture si serrée qu’elle en devenait presque illisible à certains passages, sans suite chronologique. Par prudence, supposa madame Niessl, Hélène devait les cacher en divers endroits, les oublier, les reprendre, puis les dissimuler de nouveau à l’insu de ceux dont elle partageait le toit.

    Car, comme les villas du bord de mer, l’hôtel Préfailles, au R…, avait été envahi par ces messieurs qui en peuplaient les étages, déjà installés quand la radio s’obstinait à marteler « que les allemands ne passeraient pas la Loire » ! Mesdemoiselles Pochon (et Yvonne davantage encore que ses sœurs) n’avaient pas apprécié cette intrusion qui perturbait leur tranquillité, convaincues qu’elles avaient été que leur position sociale les mettait à l’abri de toute réquisition. Il leur fallut dorénavant supporter des allées et venues et souffrir la vue de l’étendard rouge, blanc et noir frappé de la croix gammée qui profanait la façade de leur immeuble. Ces messieurs saluaient avec courtoisie ces demoiselles qui s’entêtaient à les ignorer.

    L’occupant leur avait laissé la libre disposition de leur poste de TSF, mais il avait exigé la remise de celui des Delyon qui commençaient à jeter un œil torve en direction de leurs bailleuses. D’autant plus que la jument Etoile leur avait été aussi confisquée.

    Ces événements, pour dramatiques qu’ils fussent, avaient extirpé en quelque sorte la douleur des deuils par la nécessité où se trouvaient les trois sœurs d’affronter nombre de soucis nouveaux. La guerre bouleversait les valeurs au point que parfois on se méprenait dans ses choix moraux. En vérité à cette époque critique elles étaient plus préoccupées de leur confort individuel que de ce qui se tramait à Bordeaux ou à Vichy. Arguant de son statut d’artiste paysagiste, Yvonne avait obtenu un permis de circuler en automobile permanent. Elles avaient relogé Alcide vieillissant dans un ancien cabinet du rez-de-chaussée. Cette présence masculine, aussi inutile qu’elle eût été en cas d’agression, les rassuraient néanmoins. L’ancien majordome rendait encore quelques services lorsqu’il reprenait son air gourmé pour verser de temps en temps le thé ou le chocolat aux hôtes de ces demoiselles ou bien en se chargeant de l’argenterie. Faute d’espace ces dernières s’étaient séparées de leur femme de chambre et n’avaient gardé que leur cuisinière qui occupait désormais l’ancienne chambre de leur grand-mère. Madame Delyon et sa belle-fille venaient les jours de lessive et assuraient quelques heures de ménage.

    Toutefois, dans cette atmosphère contrainte un rien pouvait déclencher des accès de bonne humeur incontrôlable. Un jeune soldat allemand partait en permission de bon matin, tout réjoui. Moins de deux heures après il rentrait, l’air dépité. Hélène marquait la surprise. Alors il s’en ouvrait à elle : « Tut, tut, tut,tut, nicht ! » Hélène riait. Le soldat riait. Et les éclats de leurs rires mêlés emplissaient le hall jusqu’à l’étage. Hélas, la guerre sépare la jeunesse complice dans la joie… Bientôt les habitants du rez-de-chaussée se repliaient dans la componction tandis que la présence de l’occupant devenait chaque jour plus pesante.

     

    NB : Ceci est une fiction

     

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  • Commentaires

    12
    margareth Profil de margareth
    Vendredi 13 Avril 2012 à 08:10

    Algeroma :

    Il fallait bien parfois se distraire du malheur...

    11
    Jeudi 12 Avril 2012 à 23:12

    La préoccupation pour les choses pratiques alors que les évènements se précipitaient était une façon de survivre....ces rires des jeunes gens en sont aussi l'expression!

    10
    margareth Profil de margareth
    Dimanche 1er Avril 2012 à 08:24

    Baiya :

    Merci de m'encourager car je doute souvent ! ;-)

    Primavera :

    Il est vrai que tu en as des souvenirs...

    Latil :

    A travers les lettres et documents dont je dispose, c'est ce qui apparaît très nettement, la pression toujours plus forte de l'occupant et l'exaspération croissante de la population.

    fanfan 2:

    Pour tous, ce ne devait pas être tous les jours facile.

    9
    Samedi 31 Mars 2012 à 23:03

    Vivre avec l'occupant ne devait pas être de tout repos .  Parfois ils étaient corrects parfois ils étaient très arrogants .  La jeunesse  parmettait sûrement de mieux supporter cela . Bon dimanche

    8
    Samedi 31 Mars 2012 à 19:00

    Bien interressant ce feuilleton, surtout sur le compertement de l occuppant, mes parents m en avaient parlé, au debut ils étaient corrects, mais ,avec le temps ils devenaient plus exigeant, s appropriant tout ce qui avait un peu de valeur. Ils volaient aussi les chevaux, ce qui avait des conséquences catastrophiques pour les agriculteurs qui ne pouvaient méme pas utiliser leur tracteur( car il y en avait dans les grosses fermes) faute de carburant.

    Bonne soirée Margareth

    Latil

    7
    Samedi 31 Mars 2012 à 18:22

    Je te souhaite un très bon week-end Margareth

    Bises

    6
    Samedi 31 Mars 2012 à 16:48

    DSC08360.jpgx

    Bonjour Margareth,

    Une fiction certes, avec quelques accents de vécu pour beaucoup à cette période.

    Très bonne fin de journée.

    Bisous

    Prima

     

    5
    titi.
    Samedi 31 Mars 2012 à 13:17

    Contente de retrouver les soeurs Pochon dont la situation est peu enviable en ce moment.

    Et de ton retour aussi ! Bonne journée !

    4
    Samedi 31 Mars 2012 à 11:13

    Bonjour Margareth,

    je néglige à chaque fois de te mettre un commentaire mais j'adore ce feuilleton du week-end! Merci.

    3
    Samedi 31 Mars 2012 à 10:48

    Bonjour Margareth,c'est un beau spectacle en effet et les gens viennent de loin pour admirer ces beaux chevaux de trait si massifs mais dociles.
    Merci pour cette nouvelle page du feuilleton du weekend.
    Bonne journée et bisous de l'Yonne.Minouche

                      

     

    2
    margareth Profil de margareth
    Samedi 31 Mars 2012 à 07:55

    Marc. :

    Merci fidèle Marc.

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    1
    Marc.
    Samedi 31 Mars 2012 à 07:37

    C'est un plaisir rassurant que de vous lire ce matin.

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