• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 14

     

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 14



    La rigueur de l’hiver rendait plus manifeste le poids des restrictions. Les doryphores ravageaient tout. Afin d’économiser le combustible beaucoup, comme madame Le Chahier, le capitaine Quillet et Liselotte, se cantonnaient à la tiédeur des cuisines. On essayait de pallier la pénurie alimentaire par l’élevage de lapins. Mais les portées de lapereaux, trop délicates en cette saison, crevaient du gros ventre. Assise devant une flambée qui lui cuisait la figure sans lui réchauffer le corps, Hélène regrettait ses onze lapineaux tous morts à cinq semaines. Elle entendait Hortense pouffer dans la cuisine.

    Alcide lui racontait une nouvelle fois les déboires de Leduc qui avait fait un potin du diable au café du Centre parce que l’officier qu’il hébergeait l’avait obligé à repeindre la chambre qu’il occupait en marron. « De quelle couleur était-elle ? lui demandait la cuisinière.

    — Rose. C’était la chambre de sa fille autrefois. Admettez, Hortense, plaisantait-il, que le marron sied mieux que le rose bonbon à l’uniforme, surtout lorsque celui-ci est vert-de-gris ! »

    Quelques jours plus tard, Sixtine introduisit son amie Félicité Dessablettes, plus livide que le ciel de neige. Elles traversèrent la pièce sans un mot et s’enfermèrent dans sa chambre. Félicité venait de voir de près les effets de la guerre. La confrontation inopinée avait fait naître en elle ce sentiment sauvage qui annihile la raison et porte en germe la violence : la haine. Celle qu’elle avait cru éprouver jusqu’ici n’avait été, au pire, que de la rancœur. Or cet après-midi elle avait vécu l’humiliation de l’impuissance soumise à la force. Les faits s’étaient déroulés chez le marchand de cycles, au moment où elle y déposait son vélo. Des soldats avaient fait irruption derrière elle. Ils venaient réquisitionner les bicyclettes, mais aucune n’avait de roue avant. Où étaient-elles ?  Qu’en avait-on fait ? Le commerçant simulait l’incompréhension. L’officier avait sorti son pistolet et le lui avait pointé sous le nez. En un éclair, Félicité avait surpris le regard à la fois courroucé, apeuré, désespéré de sa femme ; ceux de ses ouvriers et de son apprenti pétrifiés devant leurs établis. Que pouvait faire l’artisan sinon s’exécuter et dévoiler sa cachette ? Par représailles les allemands avaient vidé sa boutique !

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 14


     

    Félicité relatait encore et encore l’événement, ajoutait des détails, mettait toujours plus d’émotion dans son récit. Sixtine l’écoutait, les yeux rivés au plancher. Elles vivaient une époque terrible qu’elles n’avaient jamais imaginé connaître. Elles n’étaient que deux jeunes filles innocentes et démunies, confrontées à des circonstances qui les dépassaient.

    Mademoiselle Dessablettes avait obtenu son diplôme d’infirmière avant la guerre. Elle projetait de s’engager dans la Croix-Rouge. « Soigner ! s’exclama Sixtine. En quoi cela aidera-t-il à les faire partir ?

    —Au moins je me rendrai utile en secourant les populations souffrantes…

    —Mais nous sommes tous en souffrance » s’insurgea Sixtine.

    Elles sortirent et cheminèrent longuement entre les haies. Muettes toutes les deux, elles partageaient un profond désarroi. La neige peu à peu enrobait le paysage d’un cocon de silence.

    Personne ne résiste à l’espérance du printemps quand les jours allongent, que la campagne reverdit. Les trois sœurs avaient décidé de se rendre à Préfailles pour Pâques, de partager les fêtes avec leur grand-mère et de s’arrêter au passage chez les Drouet, à Nantes. Au dernier moment Hélène fit volte-face contre l’avis d’Yvonne qui ne supportait aucune contradiction. Hélène, qui s’était jusqu’alors pliée sans discussion aux diktats de son aînée, se rebellait soudain. Yvonne eut beau faire valoir que son absence décevrait, voire vexerait au plus haut point Grand-Maman, sa cadette persistait dans son refus de la suivre au prétexte qu’elle ne voulait pas laisser la maison sans surveillance. « Alcide et Hortense seront là, s’étonna Yvonne.

    — Hortense, justement, je ne lui accorde qu’une confiance limitée.

    — Que veux-tu insinuer ? Elle nous sert depuis vingt ans !

    — Certes, mais elle est toujours fourrée chez les Delyon qui ont la réputation d’entretenir un commerce juteux avec nos locataires.

    — Que vas-tu chercher ? » Yvonne haussa les épaules à ce prétexte oiseux. Enferrée dans ses excuses spécieuses, Hélène tourna les talons et s’éclipsa.

    La pénombre du soir envahissait déjà la nef quand Hélène se glissa entre les bancs devant le confessionnal. Mademoiselle Loubidin, qui terminait le nettoyage de l’église, la repéra néanmoins parmi les silhouettes des fidèles. « Tiens ! Elle est encore ici celle-là, souffla-t-elle à madame Moro qui la secondait.

    — Qui, celle-là ?

    — Mademoiselle Pochon. Elle s’est déjà confessée hier.

    — Bah ! Elle aura commis un gros péché pendant la nuit. » commenta la femme Moro sur un mode égrillard qui ne convenait guère au lieu.

    Lorsque arriva son tour, Hélène s’agenouilla dans le confessionnal. Elle prit la précaution, alors qu’elle tirait le rideau, de laisser un interstice pour surveiller le mouvement dans les rangées. Le prêtre poussa le volet et dévoila son visage à travers la grille du claustra.


    NB : Ceci est une fiction

     

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  • Commentaires

    8
    margareth Profil de margareth
    Lundi 16 Avril 2012 à 08:50

    Petite Jeanne :

    Je crois que les mensonges n'y étaient pas rares, même chez les bons chrétiens. Certains s'inventaient des péchés par peur d'en oublier ! 

    fanfan2 :

    Mais cela fut aussi une aventure.

    7
    Dimanche 15 Avril 2012 à 19:58

    Ce feuilleton se lit avec plaisir; on  retrouve des gens qu'on a l'impression de connaître au fil du temps !

    "En temps de guerre", comme disaient nos anciens , la vie n'était pas de tout repos! Chacun s'arrangeait comme il pouvait ! Bonne soirée

    6
    Petite Jeanne
    Dimanche 15 Avril 2012 à 09:55

    Je me souviens encore du conféssionnal de mon enfance! J'étais déjà très mauvaise crétienne, je savais y mentir...

    Bon dimanche.

    5
    margareth Profil de margareth
    Dimanche 15 Avril 2012 à 08:34

    *cricrimary :

    Merci !

    titi :

    Il me semble me rappeler vaguement ces collecteurs de peaux de lapins. Je me rappelle bien avoir vu des peaux à sécher dans mon enfance, mais je ne sais plus très bien où, peut-être dans des fermes.

    minouche89180 :

    Merci et bon week-end. (Ah! le foot, le foot !, comme disait un célèbre fantaisiste)

    Latil :

    Il y a une réponse que je n'ai trouvée nulle part : comment se débrouillaient ces agriculteurs sans leurs chevaux ? J'ai lu ton article mais je n'ai pas trouvé le moyen de laisser un commentaire. Je l'ai trouvé intéressant dans la mesure où il apporte un autre point de vue sur la guerre.

    4
    Dimanche 15 Avril 2012 à 06:44

    Dans ma famille les allemands avaient réquisitionné des chevaux de labour, des temps difficiles au moment ou tout le monde manque de tout. Le chauffage semble avoir posé bien des problémes. C est bien écrit. Dans mon dernier Post, j ai aussi parlé de la guerre, mais je n ai pas reçu l approbation de tout le monde.

    Bonne soirée Latil

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    3
    Samedi 14 Avril 2012 à 21:49

    Bonsoir Margareth,je viens de lire mon petite feuilleton du samedi pendant que mon mari regarde le match.Je lève la tête de temps en temps en répondant à mes coms.
    Je te souhaite une bonne fin de soirée et te fais de gros bisous.Minouche

                 

     

    2
    titi.
    Samedi 14 Avril 2012 à 14:27

    Mes parents avaient aussi quelques lapins dont ils donnaient la peau au paterre

    "Paterre peau de lapin" criait-il ce qui voulait dire "jetez les peaux de lapin par terre !"

    Bonne journée !

    1
    Samedi 14 Avril 2012 à 12:38

    Bonjour Margareth. J’adore lire tes textes, ça me rappelle de bons bouquins, on se met dans la peau des personnages et même le son de la voix nous entre en tête. Bises et bonne journée, Chris

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