• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 17

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 17



    Par une belle matinée printanière, Yvonne, Hélène et Sixtine Pochon avaient enfourché leurs bicyclettes. Elles avaient roulé dans la campagne qui verdissait, cheveux et jupes au vent. L’air frais rosissait leurs joues. Dans les profondeurs de l’azur flottaient de petits nuages blancs pommelés et résonnaient les gazouillis des oiseaux. Au loin des coqs s’égosillaient, par intermittence une vache meuglait, des chiens aboyaient. Pâquerettes, primevères, boutons d’or émaillaient les fossés au pied des haies. Que la guerre paraissait éloignée, presque irréelle ! Vive l’indépendance !

    Félicité Dessablettes les avait invitées à partager avec elle un pique-nique dans le pré attenant au manoir familial, avant de rejoindre son poste d’infirmière de la Croix-Rouge. Ses parents, déjà privés de leur fils détenu en Allemagne, avaient consenti à ce nouveau sacrifice. Elle leur en était reconnaissante.

    Joyeuses et babillardes ces demoiselles avaient déplié sous le vieux tilleul une grande nappe à carreaux qui fleurait bon la lessive fraîche. Le jeu d’ombre et de lumière du feuillage faisait danser des moires sur les chevelures et les chairs et de ce tableau champêtre s’envolaient les rires complices des jeunes filles. Après le repas elles avaient échangé un breuvage à base d’orge baptisé tantôt café, tantôt thé, selon la préparation qu’il avait subie. Puis elles s’étaient allongées dans l’herbe pour la sieste.

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 17


    Hélène fixait le dôme céleste d’un bleu intense, pareil à certaines nuées qui précèdent l’orage. Elle aimait. D’un amour interdit par la guerre. Elle était éprise d’un visage qui accaparait ses pensées. Combien elle regrettait les hauts murs protecteurs de son pensionnat ! Du monde, de ses tragédies, de ses perversités ne parvenait aux internes qu’une rumeur inaudible. Elle aimait l’odeur rassurante d’encaustique des corridors au long desquels glissaient les silhouettes sombres des bonnes sœurs, les amitiés adolescentes. La vie paraissait si simple alors ! Il y avait le bien et le mal clairement démarqués, la succession ordonnée des heures, des jours et des fêtes, les règles de conduite en société. Il suffisait de s’y référer. Aujourd’hui il fallait faire des choix sans être assurée qu’ils fussent les bons, souvent improviser. Ses compagnes s’étaient assoupies. Hélène ignorait que le bel officier avait aussi touché leurs cœurs.

    A l’heure du goûter toutes les quatre avaient retrouvé les Senoir et leur grâcieuse petite Violaine chez les parents Dessablettes qui leur avaient offert un ersatz de thé accompagné de gâteaux secs. Egarés dans leur coin de campagne, coupé de tout, les Dessablettes avaient jusqu’ici échappé aux exactions. En cours de conversation quelqu’un aborda la question des locataires, en particulier du dernier arrivé, cet officier plein de prestance. Si les bouches critiquaient, certains yeux brillaient à son évocation.

    Au moment des au revoir, les trois sœurs avaient embrassé Félicité comme elles lui auraient fait leurs adieux… Ensuite la vie avait repris son cours normal. Yvonne peignait, Hélène s’occupait à ses œuvres, Sixtine, maintenant privée de sa confidente, se consacrait à ses quelques élèves. La passion qu’elles éprouvaient pour Balthasar (ainsi qu’elles l’appelaient en secret) leur insufflait le courage de faire face à la rigueur des temps.

    L’Oberleutnant zu Lobsteinbau, quant à lui, avait affiné ses manœuvres d’approche. Il avait en premier jeté son dévolu sur Yvonne comme la plus aisée à aborder. Un jour qu’elle était en train de montrer ses aquarelles à une amie, il était intervenu pour la complimenter. Puis il lui avait demandé si elle saurait faire son portrait. Elle avait accepté parce que, sur le point de refuser, elle s’était souvenue que Hélène fréquentait de plus en plus assidûment l’église et que le motif de ces dévotions ne relevait sans doute pas de ses seules convictions religieuses. Elle espérait ainsi le détourner de l’attention qu’il pourrait porter à sa sœur. Sans qu’un seul mot eût été échangé Hélène avait deviné sa motivation, à la différence de Sixtine qui s’en était prise violemment à son aînée et l’avait accusée de se compromettre avec l’occupant. En vérité la jalousie, qui ne révélait pas encore sa nature, commençait à la tarauder.

    A la lecture des courts textes et des réflexions notés par Hélène dans ses calepins, Adèle Niessl conjectura qu’Yvonne était surtout très narcissique et qu’elle avait trouvé en son modèle un spectateur de choix. Celui-ci s’en amusait et attendait son heure. Il posait quand son temps libre le lui permettait. Alors Yvonne déployait la gamme de ses extravagances. Il la vit coiffée à la grecque avec des fleurs piquées dans son chignon, à la Bérénice, en tresses, etc. bien que le plus souvent elle portât ses cheveux bouclés étalés jusqu’à la ceinture.

    Lors d’une séance Hélène allait sortir lorsque l’officier lui fit signe. « Seriez-vous si pressée, mademoiselle ? Restez donc avec nous. » Sa sœur lui avait jeté un rapide coup d’œil que l’allemand n’avait pas eu le temps de remarquer. Par chance aucune obligation n’attendait Hélène à l’extérieur. Elle cherchait seulement à se distraire de l’ennui qu’elle éprouvait chez elle. C’est pourquoi elle avait acquiescé avant de s’asseoir en leur compagnie, à la fois embarrassée de ce tête à tête et touchée de l’intérêt que le jeune homme lui portait. En chaque parole qu’il lui adressait elle croyait déceler une déclaration d’amour. Yvonne feignait de ne s’apercevoir de rien et menait la conversation avec légèreté.

    Sur ces entrefaites la belle-fille Delyon était venue prendre des ordres pour le lendemain. Elle avait cru ne pas être dupe de cette réunion amicale. Elle ne s’était pas trompée, pensait-elle. Mais après tout les Delyon avaient aussi leurs petits arrangements. Dans l’adversité, chacun pour soi, se dit-elle, il n’y a que le système D qui vous sauve.


    NB : Ceci est une fiction

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  • Commentaires

    9
    margareth Profil de margareth
    Dimanche 13 Mai 2012 à 21:53

    Latil :

    Combien cette guerre a-t-elle bouleversé de destins ? En bien ou en mal...

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      Commentaire :


    8
    Dimanche 13 Mai 2012 à 21:27

    La guerre a eut raison de bien des principes, de beaucoup de convictions qui semblaient innébranlables. Et puis il fallait vivre, pour ces jeunes fille leur jeunesse sera en grande partie gachée par cette calamité.

    Bonne soirée Margareth

    Latil

    7
    margareth Profil de margareth
    Mercredi 9 Mai 2012 à 18:45

    jreinedubois :

    J'en suis heureuse ! 

    fanfan2 :

    Ce ne devait pas être facile en effet.

    6
    Mercredi 9 Mai 2012 à 13:58

    Ces demoiselles jouenet avec le feu ,mais est-ce si étonnant lorsqu'on trouve le temps long  et qu'il n'y a plus de jeunes gens  aux alentours? Bonne soirée

    5
    Mardi 8 Mai 2012 à 18:44

    Cette évocation champêtre m'a permise de vivre un moment bien agréable où la nature est si belle!


    Alors que les hommes s'entourent des ténèbres de la guerre...

    4
    margareth Profil de margareth
    Lundi 7 Mai 2012 à 09:43

    titi, Primavera, lolo78000 :

    Merci pour votre passage bien que je me fasse très rare sur les blogs en ce moment. Ce matin, soleil radieux !

    3
    Dimanche 6 Mai 2012 à 13:19

    coucou avec la pluie pour te souhaiter un très bon dimanche de gros bizzzous

    2
    Samedi 5 Mai 2012 à 17:59

    05.05.2012

    Bonsoir Margareth,

    Peu régulière sur les blogs, j'ai quelques difficultés à retrouver le fil de ton récit... mais que c'est bel et bien écrit.

    Très bonne soirée à toi.

    Bisous.

    Prima

    1
    titi.
    Samedi 5 Mai 2012 à 13:41

    Pas facile tout çà !  Bonne journée !

     

     

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