• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 21

     

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 21


    Les trois sœurs, par fidélité à la promesse faite par leurs parents à Adélaïde Pochon de ne jamais abandonner son ancien majordome, se relayaient au chevet d’Alcide. Un après-midi Sixtine avait bavardé avec lui de choses et d’autres. Il était alité mais ses idées demeuraient claires. Or, arrivée chez elle, elle avait appris que les religieuses venaient d’appeler. Alcide avait rendu l’âme juste après son départ. Pour sa consolation elle se dit que sa présence avait sans doute adouci ses derniers moments.

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 21Alcide n’avait aucune famille proche ou lointaine. Pour ses funérailles mesdemoiselles Pochon lui en tinrent lieu. Depuis tant de décennies qu’il travaillait au château, il était devenu une figure notoire du R. Aussi la chapelle de l’hospice avait à peine suffi à contenir le nombre de ceux qui avaient voulu lui rendre un dernier hommage. Il avait désigné Yvonne comme sa légataire universelle, à charge pour elle de répartir ses quelques biens entre ses sœurs, Honorine et elle-même. Elles retrouvèrent des souvenirs émouvants qu’il avait reçus autrefois à l’occasion de la communion des enfants, épingles de cravate, images pieuses et un missel signé Lesort relié de cuir brun, estampé à l’or fin et qui, sur la soie des pages de garde, portait ses initiales en lettres gothiques. Sixtine insista pour l’avoir. Yvonne attribua à Honorine sa chambre, sa table ronde et ses deux chaises d’acajou. Hélène choisit les deux vases en laiton repoussé, ornés de rameaux de chêne, qu’il avait rapporté des tranchées. Yvonne utilisa son pécule (qui n’était pas négligeable) pour payer sa pierre tombale, la concession à perpétuité et pour faire dire des messes pour son salut éternel.

    Dans la grisaille de l’hiver s’installa la tristesse. On souffrait de froid, de faim, de peur, de la séparation d’avec des êtres chers. La gare avait été mitraillée. Plusieurs obus étaient tombés dans le vallon. Ils avaient provoqué des éboulements qui en avaient modifié la topographie. Le tunnel qui menait au ruisseau était détruit. Hélène se démenait pour procurer à leurs amis parisiens ce qui leur faisait défaut. Dans un mot signé R.C. l’un d’eux constatait : « La factrice n’a jamais distribué autant de colis. »

    Madame Niessl s’étira comme pour extirper son esprit du passé et reprendre pied dans le présent. De nouveau les lettres et les documents du laque présentaient une lacune de plusieurs mois que rien n’expliquait. Maintenant qu’elle avait épousé Hans Niessl, elle aurait pu renoncer à travailler. Mais elle refusait d’abandonner un projet qui lui avait tant tenu à cœur.

    Elle se leva puis se dirigea vers le salon de thé où Benedict officiait. Le jeune homme étudiait l’histoire de l’art à Tours. Elle l’avait engagé à temps partiel depuis Pâques. C’était un garçon cultivé, débrouillard sur lequel elle fondait de sérieux espoirs. Un jour il la seconderait dans l’achat et la vente d’œuvres d’art.

    Toutes les tables étaient occupées. Les Delyon la saluèrent de loin (s’ils avaient su ce qu’elle venait de lire !) Leur fils Laurent les accompagnait. A cet instant un détail la frappa. Laurent Delyon ressemblait à son père, certes, mais quelque chose dans sa physionomie lui rappelait d’autres traits, une expression qu’elle ne parvenait pas à attribuer. Qui pouvait-il bien lui rappeler ?

    Adèle Niessl n’arrivait pas à reconstituer la suite logique des événements depuis le début de l’année 1943. Des photos de Paris (le Luxembourg, le Sacré Cœur, l’Arc de Triomphe) et une invitation ni datée ni signée à s’y rendre brouillaient les pistes. Les épreuves accréditaient le séjour d’Hélène dans la capitale. Mais était-ce avant, pendant ou après la guerre ? Adèle ne trouvait nulle part de réponse. Des lettres postérieures prouvaient qu’Hélène avait sans doute conduit elle-même (après plusieurs incursions des allemands chez les Dessablettes) le petit Rémi X. dans cette grande maison au vaste jardin où l’on pouvait se reposer tranquillement et changer d’air. Les enveloppes portaient le tampon de Paris alors que les billets qu’elles contenaient faisaient référence au monde rural de l’Oise. L’enfant là-bas avait retrouvé des cousins, Riri et Jeannette, un peu plus âgés que lui. Cela ajoutait aux colis qu’Hélène expédiait chaque semaine aux uns et aux autres.

    De Nantes on lui réclamait des pommes de terre, de Préfailles de la farine, de Saint-Raphaël (« joli pays où l’on meurt de faim si le porte-monnaie n’est pas gonflé ») de la semoule, d’ailleurs, du sel (sans terre), du beurre. En retour elle recevait un peu de sucre, des rubans pour ses chapeaux, parfois des tickets de rationnement.

    A partir de juin 1943 madame Le Chahier et Liselotte Renant étaient redevenues bavardes dans leurs écrits qui comportaient plusieurs pages chaque semaine. Toutes les deux confiaient colis et missives à leurs commissionnaires ou à leurs porteurs, des jeunes gens, dont un au moins était originaire du R. ou des ses environs, qui travaillaient  à la construction du mur de  l’Atlantique. Ils occupaient toutes les locations de madame Le Chahier, y compris l’étage de sa maison, ce dont elle se félicitait. Certains passaient la nuit à bétonner, de huit heures du soir à huit heures du matin, racontait-elle. « Avec le vent, quel pénible travail. »

    L’occupant renforçait ses défenses. Les bombardements alliés s’intensifiaient. Les pénuries de toutes sortes s’aggravaient. On sentait le dénouement proche. L’espoir et l’anxiété atteignaient leur comble. En dépit de l’angoisse, tous soupiraient après le jour de la délivrance. Quand ? Où ? Comment ? Survivrait-on jusqu’aux retrouvailles sur la côte ?

    Félicité Dessablettes était revenue passer une semaine chez ses parents, mûrie, profondément marquée par son expérience de la guerre en Loire Inférieure, vaillante malgré tout. Elle incitait Sixtine à la rejoindre comme secouriste ou bien comme ambulancière puisqu’elle savait conduire. Sixtine ne se décidait pas, par peur d’affronter la peur, les blessures abominables, non pas de mourir, mais de voir la mort, de rentrer estropiée ou défigurée. Elle n’aurait pas ce courage.

    NB : Ceci est une fiction

     

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  • Commentaires

    7
    margareth Profil de margareth
    Lundi 11 Juin 2012 à 07:00

    Latil :

    Merci. En ce moment je n'ai guère le temps de faire le tour des blogs amis, mais je ne vous oublie pas.

    6
    Dimanche 10 Juin 2012 à 11:33
    Latil

    C est bien écrit, on sent bien cette ambiance de peur, de faim( histoires de pommes de terre) et cette terreur devant un ennemis toujours plus exigeant .

    Amicalement

    Latil

    5
    margareth Profil de margareth
    Mercredi 6 Juin 2012 à 13:19

    Petite Jeanne :

    Autrement dit : les petits ruisseaux font les grandes rivières !

    Framboise44, titi:

    Je me suis enfin résolue à voir le médecin. C'est une infection. Avec les antibiotiques cela va déjà beaucoup mieux.

    fanfan2 :

    cela viendra...

    4
    Lundi 4 Juin 2012 à 09:21

    La guerre n'en finit pas avec ses mystères et sa cruauté.

    Adèle va peut-être avoir un jour les réponses à ses questions ?

    Bonne semaine

     

    3
    titi.
    Dimanche 3 Juin 2012 à 14:14

    J'espère que tu vas mieux. Amitiés

    2
    Samedi 2 Juin 2012 à 20:16

    j'espère que tu as vu un médecin, parce que fièvre , maux de tete et nausée c'est pas vraiment bon signe ...

    tiens nous au courant et retape toi bien vite

    1
    Samedi 2 Juin 2012 à 10:15

    Un petit héritage ne fait de mal à personne!...

    Bon week end

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