• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 23

     

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 23



    A Nantes régnait le sauve-qui-peut.  Les habitants fuyaient. Les autorités obligeaient enfants, femmes au foyer, vieillards et infirmes à quitter la ville. Elles conseillaient de s’inscrire sur des listes d’évacuation afin d’être dirigés vers les centres d’accueils. La Loire-Inférieure, saturée de réfugiés, ne pouvait plus en héberger davantage. Madame Kerval, dont le mari pharmacien était consigné, avait préféré à la promiscuité anonyme l’exil dans une maison amie. Elle avait pensé aux Pochon dont elle avait partagé les vacances autrefois. Hélène lui ouvrit sa demeure avec plaisir, trop heureuse de ne plus rester isolée au milieu des troupes ennemies. L’arrivée de madame Kerval et de ses quatre enfants, chacun muni d’une petite valise de carton, déplut fort à l’Oberst Müller qui exprima sa désapprobation en fronçant un sourcil et en relevant l’autre. Hélène prit un air contrit pour lui expliquer en style télégraphique : « Madame, Nantes. Américains, boum, boum, boum. Madame nicht Haus.

    —Ach ! Die Amerikanischen ! » cracha Müller avec un geste de dégoût.

    A peine la porte de la cuisine refermée, un fou rire silencieux secoua les deux jeunes femmes. Hélène mimait tout bas l’arrivée des alliés. « Takata, kata, kata ! Müller, couic ! » conclut-elle en passant le tranchant de sa main à la hauteur de son cou.

    Avant son départ de Nantes, madame Kerval s’était entretenue brièvement avec Sixtine au musée des Beaux-Arts transformé en chapelle ardente. Cette dernière allait bien. Elle aidait les familles à retrouver les dépouilles de leurs proches. Elle ne lui avait pas parlé de mademoiselle Dessablettes qu’elle-même ne connaissait pas.

    On s’organisa au plus vite. Madame Kerval occupa la chambre libre d’Yvonne tandis que celle d’Alcide, meublée de matelas, était transformée en dortoir à travers lequel gambadait Toufou.

    Madame Kerval, qu’Hélène ne tarda pas à nommer avec familiarité Thérèse, se révéla être une femme énergique qui menait sa troupe tambour battant. Il n’était pas question de paresser au lit. Tout le monde devait être prêt à huit heures. Les Kerval ne confessaient aucune religion mais professaient un certain humanisme. Les enfants étaient, selon l’expression d’Hélène, de bons bougres pleins d’entrain. Le vieil hôtel retrouvait la gaîté d’antan qui l’animait. Ce qui n’eut pas tout à fait l’heur de plaire à Müller qui un soir, excédé, sortit de sa chambre et ordonna à tue-tête : « Ruhe ! » La maisonnée, sidérée, se tut sur-le-champ et n’osa plus élever le ton, sauf Toufou qui, parce qu’il ne comprenait pas l’allemand, aboya de plus belle et s’entendit intimer : « Der Hunt raus ! » Ce qui eut pour effet de l’exciter davantage. On s’empressa de l’attraper et de le cacher dans la cuisine. Madame Delyon mère se plaignait de ce que ce débarquement intempestif de gosses turbulents lui donnait le tournis et décuplait sa charge de travail. Madame Delyon belle-fille se lamentait de n’en toujours pas avoir après neuf ans de mariage.

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 23Thérèse Kerval brillait par son allant et sa débrouillardise. Elle faisait la queue devant les magasins, dénichait l’introuvable, préparait la cuisine, repassait le linge, surveillait l’étude des enfants cependant qu’Hélène ratissait la campagne pour approvisionner les citadins affamés, toujours plus nombreux à demander des colis. De surcroît, une institution religieuse l’avait mise en relation avec des jeunes filles seules de Tours qu’elle était chargée de ravitailler au mieux. Chacun pu remarquer qu’elle était moins assidue à l’église et plus engagée dans les actions d’entraide.

    Quand il en avait la possibilité, monsieur Kerval venait deux ou trois jours à l’hôtel Préfailles. C’était un petit homme posé sur des jambes torses, au front dégarni, qui cachait son regard derrière d’épaisses lunettes à monture d’écaille. Il s’exprimait peu mais gardait en permanence une espèce de sourire simiesque plaqué sur son visage. Comment une femme telle que Thérèse avait-elle pu épouser un être aussi falot ? Les arcanes de l’amour demeuraient impénétrables. Quelque chose de sa personnalité l’avait touché sans doute.

    Une fois il avait ramené Sixtine avec lui. Hélène ne reconnu pas sa sœur tant elle avait changé. Elle, autrefois extravertie, toujours en mouvement, était devenue taciturne, distante, peut-être indifférente. Hélène, désappointée, ne savait plus comment l’aborder. La pétulante Thérèse n’obtint pas davantage de résultat. Sixtine refusait de rendre visite aux Dessablettes. Félicité ? Débordées l’une et l’autre, elles ne s’entrevoyaient plus que de loin en loin, le temps d’esquisser un salut. Sixtine ne savait rien de sa vie. La curiosité de son entourage l’horripilait.

    Plus tard, ce fut au tour de Félicité de venir passer quelques jours à la Mésangère. A l’inverse de Sixtine, elle s’était épanouie, riait beaucoup, avait pris de l’assurance. Hélène, qui avait eu l’occasion de la rencontrer chez ses parents, éprouvait –en dépit de son inexpérience- le sentiment de ne plus avoir en face d’elle une jeune fille innocente, mais une femme confortée dans son aptitude à séduire. Aussi, lorsque à quelques temps de là Thérèse Kerval, à qui elle l’avait désignée dans une file d’attente du centre ville, s’exclama qu’elle la reconnaissait, qu’elle était la maîtresse d’un officier allemand logé non loin de chez elle, Hélène (quoique choquée) ne fut qu’à demi-surprise. Néanmoins elle admettait mal que Félicité, fille d’un résistant de la première heure, anti-nazie convaincue, pût s’afficher avec l’occupant. Elle fit part de ses doutes à Thérèse. Une telle situation était d’autant plus difficile à croire que Félicité était issue d’une excellente famille catholique et que, pour autant qu’elle sût, elle était très croyante. Madame Kerval sourit de tant de naïveté. Elle insistait, elle était sûre de sa mémoire visuelle. Non, elle ne se trompait pas de personne. Hélène maintenant comprenait les réticences de Sixtine et n’en parla plus.

    Début novembre Yvonne apporta des nouvelles fraîches des préfaillais. Sur son trajet entre la gare et le faubourg, un homme l’avait frôlé en l’insultant. « Qu’est-ce que tu f… ici, salope ? Retourne d’où tu viens ! » Elle avait blêmi, avait poursuivi sa route du même pas et n’avait rien dit à Hélène.

    Bien qu’elle eût gardé des séquelles qui la handicapaient Grand-maman se portait aussi bien que possible. Monsieur Quillet fêtait ses quatre-vingt-quinze ans et seul l’espoir de réintégrer un jour prochain sa maison avec vue sur l’océan le maintenait en vie. Liselotte lui avait confié un panier de crabes (peut-être pas tous pleins), des crevettes et deux mulets. Certaines de leurs connaissances outrepassaient les interdits pour se réfugier à Préfailles. Il était encore question d’évacuer des maisons du côté de Quirouard ce qui suscitait bien des inquiétudes.


    NB : Ceci est une fiction

     

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  • Commentaires

    7
    margareth Profil de margareth
    Mercredi 20 Juin 2012 à 07:52

    titi :

    Je ne sais pas si l'Echo de la Mode existe encore. Autrefois maman le recevait.

    Georges Levy :

    Je plonge dans les souvenirs de ma famille car moi-même je n'étais pas née.

    mamie mouette :

    Pour certains, apparemment...

    nicole 62 :

    A chacun sa manière. Pour ma part, comme je ne suis guère méthodique, la plupart du temps je pars sans savoir vraiment ce que je vais acheter. Et au moment de préparer un plat, souvent il manque quelque chose!

    Petite Jeanne :

    Merci.

    fanfan 2 :

    Il y aura des rebondissements et ...une surprise.

     

    6
    Lundi 18 Juin 2012 à 15:25

    c'est amusant ces conseils  culinaires! Je me souviens un peu de ce journal.

     

      Je lis avec plaisir ce feuilleton qui nous rend familiers tous ces personnages.  On appréhende un peu ce que donnera la fin de la guerre  :il y aura des règlements de comptes! Bonne semaine

    5
    Lundi 18 Juin 2012 à 11:06

    Pauvres grenouilles!

    Très bonne semaine à tous.

    4
    Dimanche 17 Juin 2012 à 17:31

    Je suis démodée alors ... car je choisis mes recettes et pars en course .. si, si mes livres de cuisine sont mes "livres de chevet" et je suis toujours à la recherche de nouvelles recettes de saison bien sûr .. pensons aux économies quand même ... Mais parfois une idée recette me vient il est vrai en apercevant ce fameux "potiron" ou autre (lol) ...

    Merci de cette chronique d'avant garde malgré l'époque Margareth !!

    Le temps est parti au beau mais enfin ne crions pas trop fort, Monsieur météo nous promet déjà des orages ....

    Mes bises pour une agréable semaine à toi !

    Nicole

    3
    Dimanche 17 Juin 2012 à 14:30

    en 1941 , il y avait des brochettes de grenouilles !

    bon dimanche

    2
    Dimanche 17 Juin 2012 à 10:28

    Le feuilleton sur les Soeurs Ponchon est une vivante tranche de vie du temps de l'Occupation. Mais pour l'écrire si  joliment, vous avez sans doute puise dans de lointains souvenirs de cette guerre déjà lointaine mais aux cicatrices encore vives. Moi, de cette époque, enfant, j'ai le souvenir culinaire des Topinambours qui étaient la base de nos déjeuners !Et de la viande de...chameau ! Heureux ceux qui en trouvait  à la boucherie...
    Bonne Dimanche Margareth !
    Amitiés ensoleillées.
    Georges. 

    1
    titi.
    Samedi 16 Juin 2012 à 13:19

    J'ai un vieux souvenir de ce journal ! Bonne journée !

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