• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 25

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 25

     

    A ce moment de la discussion Adèle Niessl orienta leur échange vers le sujet des Delyon qui étaient alors les plus proches voisins de l’hôtel Préfailles. Violaine haussa subrepticement les épaules. « La rumeur courait qu’eux aussi avaient bien profité de la présence allemande et de la pénurie. La preuve en est, après la guerre ils ont racheté leur ferme aux Pochon ! Le fils a sauvé l’honneur en fuyant le STO !

    —Vous les connaissiez bien ? s’enquit Adèle.

    —Assez. Ils vivent au Rhiu depuis des générations, comme ma famille à la Bessonnière. Nous ne nous côtoyions pas beaucoup. Aussi loin que nous remontions, les Senoir appartiennent à cette catégorie peu répandue des paysans propriétaires de leurs terres. Au Moyen Âge déjà la Bessonnière leur appartenait. Ils n’ont jamais dépendu de qui que ce soit. Ils étaient des hommes libres. Savez-vous que ma grand-mère descendait des Pochons ?

    —Vous étiez donc parente avec ces jeunes filles ?

    —Disons, par la branche inavouable, celle de l’adultère. Mais aujourd’hui ces préjugés sont dépassés.

    —En effet, il paraît que le fondateur de la dynastie ne manquait pas de tempérament !

    —C’est le moins que nous puissions dire. Pour en revenir aux Delyon, j’ai vu Philippe Delyon presque nouveau-né. C’était un beau bébé rose et joufflu, très blond ; à tel point d'ailleurs que l'une de ses mèches paraissait blanche. Il ressemblait à un angelot.

    —Il a bien changé depuis…

    —Il a été un très joli petit garçon que toutes les femmes enviaient à Georgette. Il accompagnait souvent sa mère et sa grand-mère au château. Ces demoiselles l’acceptaient avec bienveillance. Dommage que par la suite il se soit montré aussi rétif à toute forme d’éducation. Son comportement frisait la délinquance.

    —A-t-il des frères et sœurs ?

    —Il est fils unique. On m’a souvent raconté que ses parents l’avaient eu avec difficulté. Sans doute se sont-ils montrés trop indulgents à son égard.

    —Seriez-vous capable de me préciser s’il est né en 1944 ou en 1945 ?

    —Tout à fait ! C’est une date inoubliable : le 6 juin 1944 ! Combien de fois son père a exprimé le regret qu’il n’ait pas été une fille ! Il l’aurait prénommée Victoire. » Madame Niessl et madame Mukaschturm bavardèrent encore une vingtaine de minutes de choses diverses puis se séparèrent. Les deux femmes venaient de partager un agréable moment qui, hélas, n’avait pas permis à madame Niessl de démêler davantage le sens caché du testament d’Hélène Pochon.

    Il ne lui restait donc d’autre ressource que de sauter une étape et de se pencher sur les documents de 1945. En réalité les plus anciens dataient de la fin juillet 1945, soit environ deux mois après la reddition de la Poche de Saint-Nazaire qui s’était refermée sur Yvonne un an plus tôt. Enfin on allait revoir ce cher, cher Préfailles ! Et combien de connaissances ? Liselotte avait refusé de louer les Ecumes de Mer à ses amies compte tenu de l’état de la propriété. Son oncle, écrivit-elle, les accueillerait volontiers en qualité d’invitées pour, ensemble, se replonger dans les heureux souvenirs de l’avant-guerre. Désormais le vieux monsieur était presque centenaire.

    A la hauteur de la Goélette, dans le virage qui précédait la rue qui menait aux Ecumes de Mer, Sixtine Klaxonna puis la voiture cahota sur la chaussée ravinée jusqu’au lourd portail de bois que Liselotte venait d’ouvrir. Le capitaine Quillet se tenait près d’elle, accroché à sa canne, l’air réjoui. Hélène et Sixtine sautèrent de leur automobile et vinrent les embrasser. Il y eu quelques larmes tant ce jour avait failli ne jamais exister.

    Du côté nord, ainsi qu’on désignait la partie de la propriété qui comportait le potager, le poulailler, la maisonnette de Liselotte et les remises, Hélène et Sixtine ne relevèrent pas de changements notables. Liselotte avait réussi, vaille que vaille, à entretenir le jardin. Elles retrouvèrent le hall d’entrée de la grande maison tel qu’elles l’avaient toujours connu avec la statue du Bouddha debout (qu’elles prenaient pour la Vierge autrefois) encore fixée au mur dans le tournant de l’escalier. Mais au-delà, un désastre s’offrit à elles. La toile des murs avait été arrachée, les miroirs des salons et de la salle à manger avaient servi de cibles de tir, certaines vitres étaient cassées, le mobilier endommagé, le billard crevé. Les placards du couloir qui précédait l’office avaient été vidés de leur vaisselle et dégarnis du feutre qui recouvrait leurs étagères. La peinture des dentelures de la véranda s’écaillait, les lambrequins étaient édentés et le jardin du sud, face à la mer, disparaissait sous les ronces, les chardons et les herbes folles.

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    Malgré tout, au moyen des bibelots et des meubles entreposés chez madame Le Chahier au début de la guerre, Liselotte et Yvonne, aidées d’un journalier, avaient réussi à reconstituer un petit salon acceptable depuis lequel monsieur Quillet pouvait entrevoir la mer.

    A l’étage les tapisseries étaient maculées de taches douteuses, déchirées par places, certains matelas et sommiers éventrés, des rebuts s’accumulaient dans la salle de bain transformée en débarras. Quant aux greniers, mieux valait en refermer la porte au plus vite ! Mais au bout du jardin l’océan scintillait, comme autrefois. C’est ce qui importait.

    Afin de rétablir les rites d’avant-guerre, madame Le Chahier attendait ses petites-filles pour le déjeuner qui, cette fois, se tiendrait dans la cour, à l’ombre de la terrasse. Dès l’abord l’état de délabrement de leur grand-mère frappa Hélène et Sixtine. L’accident vasculaire cérébral l’avait laissée hémiplégique. Son élocution était hésitante. Elle portait cent ans ! Mais elle paraissait joyeuse. Satisfaite des petits jeunes gens qui logeaient au-dessus de sa tête, elle envisageait l’avenir avec confiance. L’été prochain les estivants reviendraient, comme avant. Ne trouvaient-elles pas que ce bon capitaine Quillet avait beaucoup vieilli ? « On lui donnerait cent ans ! » martelait Grand-maman.

    Par tradition, l’après-midi on se réunit chez Liselotte à l’heure du thé (ou de ce qui en tenait lieu parce que les restrictions avaient toujours cours). On se serrait dans la cuisine étroite. Mais par la porte grande ouverte sur le jardin assommé de lumière chacun profitait, tout en parlant plus que son soûl, de la pelouse, des plates-bandes de glaïeuls qui bordaient le haut mur palissé de fruitiers.

    La semaine s’écoula comme un jour.


    NB : Ceci est une fiction

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 14:43

    En effet, l'orge était très utilisé autrefois, ma mère avait gardé cette habitude...


    Très bonne vancances et à bientôt...

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