• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochon - 7

     

     

    Votre feuilleton du week-end - 7



    Sous la férule de monsieur Pochon père, son négoce de drap, très florissant, avait connu une expansion remarquable. La réputation de ses tissus attirait de tous les cantons avoisinants et même de Tours et de Poitiers. Il avait des commis voyageurs jusqu’en Loire Inférieure. Les jours de marché ou de foire son magasin ne désemplissait pas. On se bousculait devant les rayons et autour des longues tables de bois sur lesquelles les vendeurs déroulaient les pièces pour les débiter à la demande. Les couturières et les tailleurs de la région se fournissaient tous chez lui.

    Alfred n’avait hérité ni du charisme ni de l’audace de son père. Trop prudent, il investissait avec parcimonie et manquait des ventes. Derrière son dos ses employés murmuraient. Il allait mener son commerce à la faillite ! Alfred dû se reprendre et redresser la barre, conseillé par Eugénie qui faisait montre d’un réel sens commercial. Ainsi s’épaulèrent-ils l’un et l’autre, celui qui assumait les responsabilités avec l’approbation de celle qui les inspirait dans l’ombre, sans les endosser. De sorte qu’ils réussirent sinon à la développer, au moins à maintenir leur entreprise à un niveau d rapport confortable.

    Madame Pochon mère avait fondé de grandes espérances sur son fils. Il serait la revanche de son sang. Elle l’avait imaginé au faîte de sa gloire général d’armée, sénateur ou ministre ou bien encore, s’il se tournait vers la prêtrise, nouveau Bourdaloue. Mais Alfred qui était dénué d’ambition se contenta d’emboîter le pas de son père. Eugénie n’en manifestait pas davantage puisqu’elle avait réalisé la sienne en épousant le fils d’un riche notable. Si elle ne transigeait point par ailleurs en matière de religion, elle faisait preuve de tolérance à l’égard de son mari qui ne fréquentait guère l’église. Comme dans tous les couples, il leur arrivait de se quereller, mais ils s’aimaient et trouvaient leur bonheur dans leur famille.

    Cette union avait été une nouvelle cause d’aigreur pour Adélaïde Pochon, née du Rhiu, qui n’avait pas ménagé ses efforts pour en détourner Alfred. « Il méritait mieux. » Cette fille d’un petit entrepreneur préfaillais aisé, très jeune patronne couturière, était étrangère à leur société. Qu’il ouvre donc les yeux ! Elle n’en voulait qu’à sa position ! Marc Antoine Pochon, quant à lui, l’avait jaugée avec l’œil averti du connaisseur. Il l’avait trouvée à son goût. Ce qui n’avait pas manqué, une fois de plus, de crucifier Adélaïde. Quoi qu’il en fût, Alfred, follement épris, n’aurait jamais transigé. Elle s’inclina.

    De cet épisode il restait trace dans la réponse d'une (semble-t-il) lointaine cousine, à une lettre qu’elle lui avait sans doute adressée à l’époque des fiançailles et dans laquelle elle désapprouvait ce mariage. Adèle tenait entre ses mains l’épître de sa parente, subtil amalgame de compassion et de cruauté sous l’apparence de l'innocence. Tour à tour elle la réconfortait –« les voies du Seigneur sont impénétrables, il en sortira peut-être le meilleur»- et la mortifiait –«une fille du peuple convient mieux à ton cher fils ». Ces propos avaient dû pénétrer dans le cœur d’Adélaïde comme une épine de plus. Toutefois à la fin de sa vie elle trouvera un certain réconfort en son petit-fils Valéry, garçonnet vif, téméraire et par surcroît très pieux, en qui elle entreverra des raisons d’espérer.

    Si la forte personnalité du révérend père Valéry Pochon avait marqué en profondeur la mémoire des paroissiens du R. jusqu’à aujourd’hui, en revanche il était presque absent des papiers qu’Adèle explorait. Sur une petite photo un jeune séminariste au visage avenant posait en soutane au milieu d’un groupe, sous le porche d’une église. Deux autres vues avaient été prises lors de son ordination. Aucune n’était datée. C’était tout. Sans doute la personne qui avait celé ces documents considéra-t-elle que le renom dont il bénéficiait suffisait à sa mémoire. Les sentiments qu’il éprouvait vis-à-vis de sa grand-mère, l’image qu’il en conservait resteront à jamais prisonniers de son jardin secret.

    Hélène devait avoir environ cinq ou six ans lorsque madame Pochon mère décéda. Trop jeune, elle n’en gardait que le souvenir plutôt vague d’une vieille dame sévère qui l’obligea plusieurs fois –par punition- à s’agenouiller dans un coin, la face tournée vers le mur. Au vrai, des trois sœurs Pochon survivantes seule Yvonne, qui était adolescente lorsqu’elle les quitta, pouvait évoquer leur grand-mère avec assez de précision.

    Ses écrits la présentent comme une personne rigide, écrasée par le poids d’une Votre feuilleton du week-end - 7douleur éternelle. De rares fois il lui arrivait d’esquisser un demi-sourire aux facéties de Valéry, sans conteste le préféré de tous ses petits-enfants. Par certains côtés elle paraissait s’être éloignée du monde des vivants. Quel que fût le temps, madame Pochon se rendait à pied à l’église ou à la chapelle de l’impasse pour assister à la première messe. D’ailleurs Yvonne rapporte une anecdote à ce sujet. Une nuit, elle ne savait plus en quelle circonstance, elle avait dormi chez sa grand-mère au rez-de-chaussée. Moins d’une demi-heure après son coucher elle avait perçu une agitation suspecte derrière la cloison. Inquiète elle s’était précipitée dans la chambre de sa grand-mère et l’avait trouvée à moitié habillée, très énervée, et qui allait du cabinet de toilette à son armoire. « Que faites-vous Bonne Maman ?

    — N’entends-tu pas les cloches ? répondit celle-ci, agacée. Je vais arriver en retard à la messe !

    — Mais, Bonne Maman, c’est l’angélus du soir qui sonne. Vous avez dormi un quart d’heure !

    — Crois-tu ? » Sa grand-mère, concluait Yvonne, s’était assise sur le rebord de son lit, vieille chose toute molle, soudain. Qu’est-ce qui poussait Adélaïde Pochon à tant de piété et de sacrifice ?  Voulait-elle gagner son ciel ? Rachetait-elle la vie dévoyée de son défunt mari pour lui éviter la damnation éternelle ? Oeuvrait-elle à la rédemption de sa descendance ?

    NB : ceci est une fiction

     

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  • Commentaires

    12
    margareth Profil de margareth
    Samedi 3 Mars 2012 à 08:09

    jreinedubois :

    Dans certains milieux elles n'avaient pratiquement pas de liberté (avant 1965 une femme devait obtenir l'autorisation de son mari pour travailler et ses biens propres étaient géré par celui-ci !). Ma mère a vécu chez ses parents jusqu'à plus de trente ans et ils lui avaient refusé un premier mariage !

    11
    Vendredi 2 Mars 2012 à 14:45

    je crois que les femmes dans cette sociéte avaient une place bien définie et qu'en aucun cas elles ne pouvaient vivre leur vie selon leur désir. La religion est le seul endroit accepté par la société pour ces femmes vieillissantes.; les enfants devenus adultes, que reste-t-il?...


    Ton feuilleton permet de réfléchir sur la conditions des humains et des femmes dans la société.

    10
    margareth Profil de margareth
    Jeudi 1er Mars 2012 à 08:56

    fanfan 2 :

    Oui, j'ai bien connu cela...

    9
    Mercredi 29 Février 2012 à 13:45

    il ne deavait pas être facile de vivre avec cette vieille dame  trop pieuse   pour qui le bonheur devait être synonyme de péché!

    CEela était assez courant dans les familles  autrefois !

    8
    margareth Profil de margareth
    Mercredi 29 Février 2012 à 08:54

    Algeroma :

    Je vais y penser (mais plusieurs chapitres sont déjà enregistrés). Moi-même je m'y perds un peu parfois ! 

    Bauds :

    Je ne connais pas la différence. Pourrais-tu nous le préciser ici ? Ce serait intéressant pour tout le monde.

    7
    Mardi 28 Février 2012 à 22:37

    çà me fait penser à mon arrière-arrière grand père qui était tissier en toile. (ce qui est diférent du drap).

    6
    Mardi 28 Février 2012 à 11:12

    Ah la société bourgeoise et ses tabous! En fait la belle mère devrait remercier sa belle fille qui a "le sens commercial" ;o) Je voudrais, si tu le permets, te suggérer de nous indiquer dans un "pavé" la généalogie des Pochon pour suivre le cours des évènements par les personnages. Quand penses tu?

    Et quant à l'agitation de Adelaide est-ce vraiment la piété où une façon d'expier.....mais quoi????????????????

    5
    margareth Profil de margareth
    Lundi 27 Février 2012 à 06:39

    titi :

    Je ne savais pas que St Etienne aussi était une ville drapière.

    4
    titi.
    Dimanche 26 Février 2012 à 15:17

    En réponse à ton commentaire j'aurais eu du mal à te donner des informations techniques

    car je l'ai connu bien après. Saint Étienne était réputée pour ses tissus comme Lyon.

    Bon dimanche

    3
    margareth Profil de margareth
    Dimanche 26 Février 2012 à 09:07

    Titi :

    Dommage que je ne l'ai pas su. J'aurais pu te demander quelques informations techniques !  ;-)

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    2
    Dimanche 26 Février 2012 à 02:46
    rené1

     

    Bonjour

     

    je te souhaite un bon dimanche

     

    nos amitiés bises

     

    René

     

    1
    titi.
    Samedi 25 Février 2012 à 13:30

    Çà me rappelle mon histoire de famille. Mon grand père vendait des tissus, il avait fait faillite après le crack boursier. Bonne journée !

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