• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 18

     

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 18

     

    L’officier allemand s’était retiré dans sa chambre, persuadé que la gaucherie d’Hélène traduisait son absence absolue d’audace tandis qu’Yvonne, avec ses allures de comédienne en représentation,  était capable du pire. Toutefois, s’il avait mieux sondé les âmes, il aurait débusqué la nature profonde d’Hélène. Elle était de ces personnes effacées qui savaient davantage que quiconque faire front dans l’adversité et ne jamais s’en prévaloir. Sa timidité cachait une grande force de caractère.

    Les écrits et les notes d’Hélène n’étaient pas aussi explicites. Mais au fil des lectures le non-dit devenait toujours plus prégnant aux yeux d’Adèle Niessl. Elle sentait l’atmosphère s’alourdir ; elle devinait le tourment croissant des cœurs et de la chair d’êtres jeunes, pleins de passion, que la guerre condamnait à vivre sous le même toit sans se rencontrer.

    L’Oberleutnant zu Lobsteinbau avait cru son pressentiment confirmé peu de jours après l’obligation faite aux juifs de porter l’étoile jaune parce que Yvonne en avait très vite arborée une sur sa poitrine, marquée swing, et qu’elle se promenait en fredonnant « zazou, zazou, je suis zazou ! » L’allemand avait très mal pris cette comédie grotesque. Il avait pincé les lèvres et lui avait demandé combien de temps encore elle entendait poursuivre cette ridicule mise en scène. Sans se démonter l’aînée des sœurs Pochon lui avait répondu avec un sourire narquois : « Je suis maîtresse chez moi ! J’y fais ce que je veux ! 

    — Croyez-vous ? » avait-il rétorqué. Puis il avait tourné les talons.

    A peine était-il sorti, Yvonne s’était retrouvée face au tribunal de ses sœurs et d’Alcide qui lui enjoignirent de cesser à l’instant ses enfantillages, lesquels les mettaient tous en péril. Elle s’inclina. Tout était rentré dans l’ordre quand elle présenta enfin son portrait achevé au bel officier. Il en avait été si enthousiasmé qu’il l’avait invitée au restaurant… et qu’elle avait accepté.

    Adèle Niessl n’arrivait pas à cerner les raisons qui avaient déterminé la décision d’Yvonne. Avait-elle cédé à la tentation de sortir avec un homme que toutes les femmes lui envieraient ? S’était-elle compromise dans le but de protéger ses sœurs ? Ou bien avait-elle agit par inconséquence ? Quoi qu’il en fût, elle jouait dangereusement.

    Par une belle nuit chaude de juillet, un cri venu de l’extérieur réveilla Hélène en sursaut. Les chiens alertés aboyaient de loin en loin. Elle crut que son cœur allait se rompre d’épouvante. L’oreille aux aguets, elle avait entendu le branle-bas des allemands qui s’étaient éloignés en suivant le ravin. Cela avait été très long, interminable. Elle ne dormait pas, tentait de percevoir le mouvement des soldats jusqu’à ce qu’ils revinssent enfin.

    A l’heure du petit déjeuner elle avait interrogé ses sœurs et Alcide sur leur sommeil. Alcide avait dormi Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 18comme un loir, affirmait-t-il (mais il devenait sourd depuis quelques temps). Yvonne et Sixtine, dans leur semi-inconscience, avaient vaguement deviné des allées et venues autour de l’hôtel, rien d’autre. Elles attribuèrent sa frayeur à un cauchemar provoqué par un appel ou un bruit quelconque dans la maison. Cependant que la rumeur courait déjà dans le faubourg que la nuit dernière il s’était passé  quelque chose du côté du vallon.

    Que faire ? Il n’était pas question de se précipiter à la chapelle au risque d’éveiller la méfiance de l’occupant, non plus que de courir au presbytère dès le matin. Dans la crypte des fugitifs attendaient l’instant propice pour gagner la zone libre car la veille la ligne de démarcation, toujours fluctuante, avait été déplacée. Hélène prit sa bicyclette et annonça à ses sœurs qu’elle voulait profiter de la fraîcheur matinale avant que la canicule ne se levât.

    Arrivée à la Mésangère, monsieur Dessablettes avait ouvert lui-même la porte à son coup de sonnette. Comme elle s’en étonnait, il lui expliqua que Marie-Thérèse avait accompagné sa femme à Tours où celle-ci venait de subir une intervention bénigne mais susceptible de la fatiguer. De ce fait il n’avait pas voulu la laisser seule. Tout en discutant monsieur Dessablettes s’était dirigé vers la bibliothèque où Hélène avait eu la surprise de reconnaître madame X., les yeux rougis et qui pleurait encore. Son garçonnet dormait, allongé sur la méridienne. Hélène se sentit très mal à cette vue. Pâle jusqu’aux lèvres, elle avait eu peine à balbutier : « Qu’est-il arrivé ?

    — Tout est de ma faute, madame, avait répondu madame X. dans un sanglot. Mon Dieu, ô mon Dieu, comment ai-je pu ? Comment ? » La parole lui manquait ; les larmes l’étouffaient.

    Monsieur Dessablettes avait résumé le drame. Alors que le couple et son enfant étaient enfermés dans la crypte avec l’abbé qui devait les conduire en zone libre, madame X. avait été en proie à une crise de panique irrépressible, une espèce de démence fulgurante que rien ne pouvait ramener à la raison. Elle avait éprouvé tout à coup la sensation d’être emmurée vivante dans un tumulus et elle s’était mise à hurler sans que les deux hommes réussissent à la calmer. A l’agitation qu’ils avaient devinée autour de l’hôtel  à proximité, ils l’avaient entraînée jusqu’au plus profond des souterrains-refuges. La peur plus grande encore de ce qui se tramait au-dessus de leurs têtes avait annihilé son accès de folie.

    Ils allaient s’évader, quelques heures plus tard, lorsque madame X. s’était aperçue de la perte de l’un de ses boutons de manchettes –auxquels elle était très attachée- et elle avait commis l’erreur impardonnable d’essayer de le retrouver. Ils avaient, à cause d’elle, pris du retard. Déjà le jour se levait quand ils atteignaient les bois, à la périphérie de la Mésangère. L’abbé, qui les précédait, avait été repéré par une patrouille. Monsieur X. le suivait de peu. Il avait eu cependant le réflexe de pousser sa femme et son fils dans un fourré en leur soufflant : « A la Mésangère ! » et, pour les sauver, sans doute, de rejoindre l’abbé. Les deux hommes s’étaient débattus, le temps de distraire la curiosité des soldats.

    Adèle Niessl releva la tête et appela son mari afin qu’il vînt lire le passage d’un carnet et de quelques bouts de papier épars devant elle. « Lis ceci ! » Adèle jubilait. « J’avais raison, vois-tu ! C’est un nouvel indice. Te souviens-tu de ce bouton de manchette en or serti de nacre, découvert par les archéologues ? Voilà une question résolue. Nous pourrons leur communiquer la copie de ces documents.

    —Soit. Mais ce n’est pas non plus une nouvelle révolutionnaire.

    —Elle éclaire néanmoins une période de l’histoire locale dont il doit rester bien des zones d’ombre. De plus, je suis pour ma part convaincue de n’être pas au bout de mes surprises. Hélène Pochon ne se serait pas donné autant de mal pour des banalités ! »

    NB : Ceci est une fiction

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  • Commentaires

    7
    Dimanche 13 Mai 2012 à 22:02

    Ce souterrain a connu des drames !

    Se faire prendre pour un bouton de manchette  , c'est absurde! Mais cela explique une partie du mystère de la découverte de ce objet.

    Bonne semaine

     

    6
    margareth Profil de margareth
    Dimanche 13 Mai 2012 à 21:57

    Algeroma :

    Je crois qu'il est un peu matcho et qu'il considère que les activités de sa femme ne peuvent être que futiles...

    Latil :

    Il est probable qu'à côté des grands résistants, bien des gens ont agit modestement et n'en ont pas forcément parlé.

    5
    Dimanche 13 Mai 2012 à 21:39

    Combien de gens courageux n ont pas hésité un instant de risquer leur vie pour sauver des juifs et les envoyer dans la zone libre. Quelques un ont été décorés, beaucoup ont sombré dans l anonymat.

    Bonne soirée Margareth

    Latil

    4
    Dimanche 13 Mai 2012 à 17:01

    ce souterrain!!!!Nous y arrivons à nouveau après toutes les péripéties que tu nous a narrées! Mais pourquoi le mari d'adèle est si peu enthousiaste???????????? L'auteur .....est en train de régler des comptes!!!! Les hommes ont bien peu d'imagination!!!

    3
    margareth Profil de margareth
    Dimanche 13 Mai 2012 à 07:59

    titi :

    Il me semble que Marc commence à déteindre sur titi !    Bonne idée d'avoir apporté ces précisions historiques ! Merci titi et bon dimanche.

    2
    titi.
    Samedi 12 Mai 2012 à 15:01

    Pendant l'Occupation, les zazous exprimèrent leur non-conformisme et leur opposition au régime en organisant des concours de danse, qui les opposaient parfois aux soldats allemands. Lorsque les lois raciales de Pétain et des Nazis obligèrent les Juifs à porter l'étoile jaune, un certain nombre de zazous, par défi, s'affichèrent avec une étoile jaune marquée Zazou, Swing ou Goy1. Ils furent arrêtés et conduits au camp de Drancy avant d'être relâchés. Wikipedia

    1
    titi.
    Samedi 12 Mai 2012 à 13:34

    Passionnante histoire à suivre ! Bonne journée !

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