• Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 24

     

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 24



    Yvonne ne pouvait pas s’absenter trop longtemps, c’est pourquoi elle quitta le R. au bout d'une semaine. Désormais elle était domiciliée à Préfailles. Avant de partir elle vérifia qu’elle n’oubliait aucun de ses papiers, en particulier le précieux Bescheinigung de domiciliation. On se séparait sans savoir quand et où on se retrouverait.

     

    Comme au R., à Tours, Nantes, Paris ou Préfailles, chez maman Tine la graisse devenait une denrée rare au point qu’elle en était réduite à gratter le lard des côtelettes de porc ou à récupérer la couenne du jambon gras pour cuisiner. Elle disposait de points pour se procurer de la laine, du coton, un peu de tissu car les enfants grandissaient. Mais les rayons des magasins restaient vides. Elle suppliait Hélène de lui trouver de la laine, même sans points, et en retour elle lui promettait un peu de saccharine dès qu’elle en toucherait. Hélène se souvint à propos d’une malle ancienne qui renfermait de vieux métrages d’étoffes qui dataient des Ets Pochon. Elle lui en fit parvenir une partie et lui conseilla de les teindre à son goût.

    Votre feuilleton du week-end : Les Soeurs Pochons - 24


     

    Le dernier de ses billets que lu Adèle Niessl datait sans doute du début de l’année 1944. Maman Tine remerciait des deux colis reçus. Elle conserverait le premier au cas où le ravitaillement viendrait à manquer. Dans son mot, elle avait glissé une phrase sibylline : « D’ici à M.J., il doit se passer quelque chose, on va écouter ce soir ; bouclez et ne vous montrez pas surtout ! » Puis c’était le silence total, inexpliqué. A partir de ce jour et jusqu’en 1945, Hélène n’avait plus rien noté. Adèle Niessl s’accorda une pose pour réfléchir et tenter de résoudre cette énigme.

    Au dîner elle eut une discussion animée avec son mari. « Pourquoi Hélène Pochon n’a-t-elle laissé aucune trace en 1944, l’année du débarquement, qui a dû compter pour elle ?

    —Peut-être tous ces gens furent-ils déportés ? proposa Hans Niessl.

    —Hélène, y compris de façon succincte, l’aurait consigné.

    —A moins qu’elle-même…

    —…ait été arrêtée ? Le faubourg ne l’aurait pas oublié. Son nom serait mentionné quelque part, au pire sur la plaque d’une impasse.

    —Mais cet hôtel particulier porte le nom de Pochon alors qu’initialement il s’appelait Préfailles.

    —Il a été débaptisé à la fin des années quatre-vingt, rappela Adèle, après sa vente. C’était un peu tard !

    —Cependant Hélène vivait encore…

    —C’est un fait. Néanmoins les personnes que j’ai interrogées en auraient parlé. Et puis, pourquoi une telle mise en scène ? Pour dénoncer l’écart de conduite d’une amie et faire valoir ses propres actes de bravoure ? Ce serait stupide, médiocre, une vengeance posthume en quelque sorte ? Impossible ! Tout démontre qu’Hélène n’avait pas cette tournure d’esprit, s’emportait malgré elle madame Niessl, au comble de la passion.

    —Peut-être la cadette des sœurs Pochon était-elle très différente de l’image qu’elle a voulu laisser, temporisa monsieur Niessl.

    —Certes, nous ne sommes jamais objectifs vis-à-vis de nous-même. Toutefois au travers de leurs échanges épistolaires, tous ses correspondants semblent l’apprécier. Non, elle visait un autre but, mais lequel ?

    —Nombre de personnes dans le monde ont vécu la guerre comme l’aventure de leur existence. Davantage encore lorsque, d’une façon ou d’une autre, elles avaient été parti prenant, remarqua Hans Niessl.

    —Je reste convaincue de ne pas avoir encore découvert le fin mot de cette histoire, s’obstina Adèle Niessl. Qui pourrait m’éclairer ?

    —Delyon, par exemple.

    —Delyon ! se récria Adèle. Il n’était pas né ou venait tout juste de l’être ! De plus ses références ne sont pas fiables. Il étaye ses témoignages à partir de qu’en-dira-t-on ! A moins que… madame Mukaschturm… Elle se prénomme Violaine, comme la petite Senoir. Ce n’est pas si courant… Il faut que je me renseigne.

    —Fais-le avec tact, autant que possible, lui conseilla Hans, une risette au coin de l’œil.

    —Tu sais bien que je suis assez diplomate en général, sourit Adèle.

    Ils échangèrent un baiser.

    Par un après-midi calme au cours duquel Violaine Mukaschturm était venue seule au salon de thé, Adèle l’avait prise à part.  Elle l’avait mise en confiance après lui avoir expliqué qu’elle essayait de reconstituer l’historique de l’hôtel et du quartier. Madame Mukaschturm se prêta de bonne grâce aux questions d’Adèle qui souhaitait éclairer certains points relatifs à la Libération. Quels souvenirs en avait-elle ? « J’avais à cette époque une dizaine d’années et ce sont des événements qui marquent, y compris les enfants, commença Violaine.

    —Vous rappelez-vous des échanges de coups de feu, des bagarres ?

    —Pas du tout ! Les allemands ont tous déserté le village en une nuit, sans prévenir ! Au matin les habitants se sont trouvés ballots dans leur bourg dépeuplé, et soulagés, bien sûr ; un peu embarrassés de cette liberté inattendue. Les ricains n’ont pas tardé à arriver d’ailleurs !

    —Vous les avez vus ?

    —Ah ! Oui ! Pendant des heures ils ont remonté la rue principale. Ils distribuaient des si-gommes (comme je prononçais en zézayant). Nous étions fous ! Nous avions sous les yeux les héros du débarquement !

    —Et les règlements de compte ?

    —Il y en a eu peu, à ma connaissance. Une fille ou deux ont été tondues par des gamins enragés de dix-sept ans qui paradaient fusil en main et qui croyaient sans doute faire œuvre utile. Plus tard nous avons entendu parler d’un commerçant molesté.

    —Et dans ce quartier ?

    —Ce qui m’a le plus frappée a été la disparition de ce grand drapeau à croix gammée qui flottait sur la façade de l’hôtel Pochon depuis quatre ans. Il faisait partie du décor.

    —Et les demoiselles Pochon ?

    —Rien de particulier. Hélène y résidait seule.

    —Où étaient ses sœurs ?

    —Je ne saurais pas vous répondre. Mieux valait pour elles s’éloigner. Elles avaient mauvaise réputation. Le bruit courait qu’elles collaboraient.

    —Hélène aussi ?

    —Je ne sais pas. Elle paraissait timide. C’était une vraie grenouille de bénitier ! (A cette évocation Violaine Mukaschturm fut prise d’un fou rire.) Mes parents affirmaient qu’elle avait fait beaucoup de bien pendant la guerre.

    —Quand sont-elles revenues ?

    —Je ne pourrais pas vous le préciser. Après l’armistice, me semble-t-il. Nous ne les voyions guère qu’à l’église. »

     NB : ceci est une fiction

     

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  • Commentaires

    5
    margareth Profil de margareth
    Mercredi 27 Juin 2012 à 08:34

    fanfan2 :

    Ma mère, elle, en avait gardé l'obsession de ne rien perdre et, compte tenu des problèmes de pollution et autres, elle n'avait sans doute pas tort.

    4
    Mardi 26 Juin 2012 à 12:22

    Le mystère demeure! Elles n'ont pu disparaître ainsi sans laisser de trace?

    Ma mère me parlait des problèmes de ravitaillemment pour certaines denrées.  Comme beaucoup de personnes âgées, elle en a avit gardé le souci de manquer  .

    Bonne journée

     

    3
    margareth Profil de margareth
    Dimanche 24 Juin 2012 à 08:33

    Algeroma :

    Le feuilleton n'est pas terminé ! il y a encore une dizaine de chapitres en attente.

    Liliane62 :

    Merci de ta fidèlité. J'avoue que moi non plus je ne laisse pas de commentaire à chaque passage, même sur les blogs que j'apprécie par manque de temps ou, parfois, d'inspiration.

    2
    Samedi 23 Juin 2012 à 23:37

    J'aime beaucoup ce feuilleton et même si je ne laisse pas toujours de com, je reste fidèle !
    Bonne soirée Margareth. Je profite d'un moment de répit de mon ordi pour te laisser quelques mots...

    1
    Vendredi 22 Juin 2012 à 21:26

    Tu ne peux nous laisser ainsi sur notre faim!!! Mais que sont-elles devenues ces soeurs????? Mais pourquoi avaient-elles mauvaise réputation?????

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