• A peine un drame - 1

    Mademoiselle Lilith est noire comme suie. Elle a des grâces, des caprices, des jalousies. Parfois elle vous fixe de ses yeux d'ambre pailleté. Froide. Impénétrable.

    Peu avant midi elle nous apporte un petit bouquet de plumes cendrées qu'elle vient de cueillir près des buissons. Elle s'allonge sur le plancher en le maintenant d'une patte de velours. On le croit mort. Elle le relâche, une infime fraction de seconde. L'oiseau tente de s'échapper. Vite, elle le rattrape, la griffe cruelle. Elle le flaire, le retourne à demi, avec délicatesse ; elle semble lui poser un baiser. Deux battements d'ailes précèdent un cri lamentable. Aussitôt elle referme ses mâchoires acérées, juste pour le retenir prisonnier. Pas encore pour le croquer. Il ne bouge plus. Mademoiselle Lilith lève vers nous son regard diabolique, jaunâtre, pupille rétractée. Applaudirez-vous ? Elle revient à son jeu criminel. L'oiseau palpite sous son menton. On croirait qu'elle prend plaisir à cette agonie. Elle fait mine d'abandonner sa proie...

    Elisabeth s'est précipitée. Au nez de Mademoiselle Lilith, qui n'entend rien à ce tour de magie, elle a volé l'oiseau. C'est un accenteur mouchet, si petit, si léger, si doux dans le nid de ses mains. Figé. Serait-il touché à mort ?
    - Rends-le lui, conseille Marc, indifférent à ce drame animal.
    - Oh ! Non ! Ce serait trop barbare de le donner à son tortionnaire après qu'il a cru être sauvé, proteste Elisabeth.
    Marc hausse les épaules. N'aurait-il pas raison après tout ?  Peut-être prolonge-t-elle inutilement sa souffrance, quand Mademoiselle Lilith était sur le point de l'achever d'un ultime coup de dent ?

    Mais Elisabeth observe la délicate perle de son oeil qu'aucun voile ne ternit. Il y a de la vie dans cet oeil. Rien qui n'annonce un prochain trépas.

    Elle va et vient dans la cuisine, indécise.  Elle cherche un abri où le poser. Ici ? Là ? Non, les chats rôdent partout. Elle est près de regretter cet absurde geste de compassion dont elle ne sait plus que faire. Puis elle pense à sa chambre, à l'étage, dans laquelle somnole Dag, le beagle de la maison. En catimini elle ouvre la porte et se faufile jusqu'à l'armoire à glace. Avec précaution elle dépose l'oiseau, toujours roide, sur la plus haute étagère. Elle a refermé l'armoire. Dag n'a rien remarqué.
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