• Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 33

     

    Il fut son avant-dernier client de la saison. Sur le point de fermer son établissement pour deux semaines, Adèle Hermenier accueillit un homme de haute stature et mince. Ses cheveux poivre et sel encadraient sa figure jusqu’à la hauteur du lobe de l’oreille. Son nez court, ses yeux verts lui conféraient un aspect félin renforcé par la souplesse de sa démarche et de ses gestes. Son attitude courtoise, sa personne racée dénotaient l’empreinte indélébile d’une éducation raffinée qui provoqua chez Adèle Hermenier un trouble indéfinissable. Lorsqu’il passa commande elle s’aperçut qu’il s’exprimait avec un léger accent étranger.

    Claude Roux, qui ne fréquentait plus le salon depuis des jours à cause des restrictions qu’il lui fallait s’imposer, entra et s’assit à une table près du rideau qui masque le comptoir. Le visiteur se leva pour examiner les tableaux exposés. Sa distinction naturelle la frappa également bien qu’elle n’en montrât rien. Elle nota par ailleurs l’empressement inhabituel de mademoiselle Hermenier auprès de lui. Avant de partir elle entendit celui-ci la féliciter de ses choix et l’assurer qu’il reviendrait bientôt après les congés.

     

    Voilà donc deux femmes bouleversées par le même homme. Adèle Hermenier n’a jamais douté de son charme. Il est vrai que sa beauté en mûrissant s’est épanouie. Claude Roux quant à elle croyait avoir dit adieux aux émois réservés à la jeunesse. Pourtant l’image de cet homme accapare son esprit. Les stratagèmes de la raison ne parviennent pas à combattre le tumulte de ses sentiments. Elle méprise ces mouvements futiles du cœur. Mais ses fuites, loin dans la campagne, Varech en laisse, ne l’apaisent pas. Elle ne savait plus ce qu’était la gaîté. Et voici que tout lui est bonheur aujourd’hui. Une espérance absurde la porte.

    De son côté Adèle Hermenier s’active. La joie la soulève ; ses tracas deviennent dérisoires. Outre un penchant qu’elle ne réprime pas, elle entrevoit, au-delà de cette rencontre, maintes retombées bénéfiques pour son entreprise, des ventes de tableaux, des relations mondaines, l’aménagement du sous-sol en galerie prestigieuse, mille autres perspectives encore. Madame Hermenier observe sa fille en hochant du chef. « Tête folle », pense-t-elle.

     

    Dehors Bertille et Philippe Tchang courent sous le soleil revenu. Elles rient, se chamaillent, papotent, évoquent à mi-voix des amourettes de vacances. Que vite revienne l’été ! La rentrée est si proche désormais. Derrière son mur Delyon tempête contre ces gamines qui ne se tairont donc jamais ! Une silhouette retient son attention :

        Tiens ! Elle est déjà rentrée celle-là !

        Qui ça, celle-là ?  demande madame.

        La bonne femme du rez-de-chaussée, en face !

        Mademoiselle Hermenier ?

        Mais non, l’autre !

    Madame Delyon se rapproche et deux paires d’yeux épient Alice, notre voisine, qui suit le trottoir le long de la propriété. Elle a quitté Oléron, lasse du temps incertain, juste quand l’été fait une nouvelle entrée caniculaire. L’affichette apposée sur la porte du salon de thé informe la clientèle qu’il sera fermé jusqu’au 27 août. Aussi va-t-elle prendre son café quelque part rue Nationale. Cette rue commune à presque tous les villages de France ! Hôtel de la Gare, rue Nationale, place de la République, le dix-neuvième siècle a partout laissé ses marques. Ses cheveux ruissellent. Elle avance dans la lumière étouffante.

     

    N.B. : Ceci est une fiction

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  • Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 32

     

    La bruine dilue l’horizon. Assise dans l’oriel, une revue à la main, Adèle Hermenier regarde son verger. N’était-ce la tiédeur de l’air, le vert des ramures, le rouge de certains fruits, on se croirait déjà au cœur de l’automne. Les découvertes récentes ne suffisent plus à attirer de nouveaux clients. C’est pourquoi elle a décidé de fermer son commerce jusqu’à la rentrée dans l’attente de l’intervention des archéologues et de la mise en route des conférences bimensuelles d’Arts et Sciences.

    Adèle Hermenier soupire.

    Son rêve de salon de thé culturel s’estompe. La réalité est bien éloignée du salon littéraire qu’elle imaginait animer en parfaite maîtresse de maison. Un seul tableau a été vendu et sa bibliothèque est restée close. En toute objectivité son rôle se résume à celui de n’importe quelle serveuse. Hormis ceux qui la connaissent, les clients ne lui accordent pas davantage d’attention. Sa mère obtient un peu plus de succès lorsqu’elle se glisse entre les tables, mêle sa voix aux propos, joue à l’institutrice qu’elle fut. On adore cette vieille dame pimpante.

     

    Sous l'oriel

     

    Au-dessus de sa tête Jérôme Tchang, portable collé à l’oreille, converse avec son épouse qui doit rentrer ce week-end. Tout en discutant, il va et vient derrière la double porte-fenêtre et observe le balcon que la pluie fine vernisse. La grisaille a envahi l’espace où flottent les formes vagues des arbres et des buissons. Triste été. Bientôt les petites reviendront. L’appartement reprendra vie.

     

    Derrière la cloison Claude Roux se concentre sur son écran d’ordinateur à la recherche d’informations relatives au mithriacisme dont elle publiera une synthèse. Mais la navigation sur internet vous égare parfois au hasard des portails de traverse. Comment est-elle arrivée à ce nom : Marie-Line Ollier ? Celui d’une ancienne compagne d’études resté tapi à son insu au fond de sa mémoire ? Marie-Line était une belle fille solide que les femmes jalousaient mais qui pourtant répétait à tout venant qu’elle se sentait moche. Sa peau hâlée et ses cheveux dorés donnaient à son regard bleu pâle une intensité particulière. A dix-huit ans elle était fiancée à un fils de bonne famille. De temps à autre il lui remettait un chèque en blanc qu’elle s’empressait d’utiliser dans les boutiques de mode. En compensation, aux heures de pause, elle lui tricotait des pulls à n’en plus finir. Claude croyait qu’ils s’étaient embarqués à deux pour la vie. Or elle découvre en cet instant que Marie-Line a divorcé deux fois et qu’aujourd’hui elle est veuve de son troisième mari. L’envie de pleurer s’empare d’elle. Une fois encore, l’idéal radieux de sa jeunesse est piétiné…

     

    Un, deux coups sourds retentissent à l’étage. Quentin retire ses grosses chaussures de marche. L’œil-de-bœuf de sa soupente découpe un rond de ciel gris sans profondeur. Sa journée était libre. Il a erré à travers les sentes désertes des bois. Ses godillots en ont rapporté des semelles de boue qu’il va devoir décrotter. La barbe ! Il s’allonge sur son lit, la tête posée sur ses bras repliés, les jambes croisées, les yeux accrochés au plafond. Deux araignées y gambadent. Cette saison leur a été propice. Il a dû en déloger une dizaine ces jours derniers. On entend, à côté, les pas des Launay.

     

    Sébastien et Aude préparent leurs valises pour le pont du 15 août. Ils s’offrent une courte échappée vers la côte. Que faut-il prévoir ? Des maillots de bain, des cirés ou bien les deux ?  Les amoureux s’enlacent et s’embrassent pendant que le plafond blondit.

    — Le ciel s’éclaircit, remarque Sébastien. Descendons prendre le thé chez Adèle.

     

    N.B. - Ceci est une fiction

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  • Les vrais vainqueueurs

     

    The real losers of the war are the deaths.

    Ernest Renan

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