• Au fond du jardin - 2

    Dans sa besace, Agathe  avait placé un tube à épingles, trois canifs, des pelotes de ficelle et un volumineux paquet de sachets de papier qu’elle avait collectés en faisant ses courses pendant l’hiver. Sur les uns était imprimé un caducée ou bien la reproduction d’une plante médicinale, sur les autres, une corbeille de fruits, une bourriche d’huîtres, un croissant ou encore un garçonnet accroupi en train de vider une boîte de biscuits. Signatures, en quelque sorte, des ses fournisseurs attitrés. Elle apprit à Brigitte et à Sylvie la manière de perforer toute la surface des sacs au moyen d’une aiguille, avant de les enfiler soigneusement autour de chaque fruit pour les protéger des prédateurs et, l’opération terminée, à en fermer étroitement l’ouverture au moyen d’une cordelette. Elle les pria aussi de cueillir les fruits arrivés à maturité et de les rassembler dans un grand panier. Les jeunes filles poussaient des cris perçants –propres à alerter tous les jeunes gens du voisinage- lorsque, juteux et sucrés à point, elles devaient les disputer aux abeilles. Elles remarquèrent des poires, jaunes comme des soleils, qui avaient grossi dans des flacons de verre joufflus, à col étroit. Agathe leur expliqua qu’elle en ferait une liqueur de poire en remplissant les bouteilles de vin blanc et d’eau de vie. Cela ferait en même temps de jolis objets décoratifs.

     

    Comme on ne pouvait pas se côtoyer tout un après-midi sans échanger une parole, Agathe raconta ensuite aux cousines que, lors de sa grave opération aux intestins, leur grand-mère lui avait suggéré de vendre ce terrain en viager afin de couvrir les frais de son hospitalisation. Elle était encore outrée au souvenir de ce conseil.
    ‑ Qu’est‑ce que c’est le viager ? s’informa Brigitte.
    ‑ C’est une sorte de location‑vente. L’acheteur verse une rente à vie au vendeur et entrera en possession de son bien après la mort de l’ancien propriétaire.
    ‑ Mais cela aurait été chouette, remarqua Brigitte. Maintenant vous recevriez de l’argent tous les mois au lieu de payer un jardinier !
    ‑  Ah ! Non ! se récria Agathe, furibonde. Vendre en viager c’est tenter la mort ! Les gens en arrivent à souhaiter votre disparition !
    ‑ Bah ! Qu’en auriez‑vous à faire ?
    ‑ A la longue cela porte malheur…
    ‑ Ce n’est que de la superstition, relativisa Brigitte.
    ‑ Peut‑être, mais je n’aurais plus eu l’esprit tranquille, renchérit Agathe.

    Elles revinrent plusieurs jours de suite se livrer à cet amusant divertissement, dans la douceur miellée d’un coin secret de paradis. De temps en temps des rires ou des exclamations joyeuses fusaient de l’enclos.

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