• La lettre à Marie.

    Maurice était un paysan illettré, enrôlé, comme beaucoup de ses concitoyens, dans l'armée pendant la première guerre mondiale. Avec peu de mots il confie son désarroi à sa jeune épouse restée au pays. Au retour de la guerre il deviendra ouvrier en chaussures.

     

     

     

    Saviny le 20 décembre 1914

     

    Ma chère Marie,

     

    Je t’écris deux mots pour te dire que je suis en bonne santé et je désire que tu sois de même.
    Ma chère Marie je suis resté à Saviny et nous sommes là en attendant notre tour d’aller au feu ; enfin, on pense rester là. Comme partir demain. Çà, il y a tant de choses qui  se passent dans notre métier que l’on en perd la tête par moments. Si on n’était pas insouciant dans le métier, sûrement que tous on aurait perdu la tête ; mais il faut en prendre et en laisser. Il faut pas chercher la petite bête ; non, il faut se faire à tout. Il faut s’y soumettre. Enfin, qu’ est-ce que tu veux, s’il faut aller au feu, il faudra bien. Mais j’aimerais bien mieux ne pas y aller, bien sûr, que d’y aller.

     

    Ma chère Marie, je me suis préparé pour partir. J’ai été à confesse et j’ai été à la communion ce matin et à présent je suis prêt pour partir. Tout ce que je regrette c’est de ne pas pouvoir aller te voir. Si toutefois je ne retournais pas, je te donne tout, comme nous avions dit, au dernier  vivant. Je te le répète, je te donne tout ce que nous avons jusqu’au dernier vivant. Si toutefois ma famille te forçait, garde la lettre que je t’envoie et tu pourrais être sûre de toi. Enfin, je demande bien au Bon Dieu à retourner avec toi ; mais si j’étais à retourner, je retournerais bien. C’est comme si j’ai à rester, il faut que je reste, il faudra bien.
    Je finis ma lettre en t’embrassant de tout mon coeur et je t’envoie toutes mes amitiés. Au revoir.

    Maurice

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  • Illustrations : G.Fath



    - Pourtant, mademoiselle, répondit l’enfant en pleurant, je fais grande attention à tout ce que vous me dites.

    - Non, certainement pas, tu n’y fais pas attention ! autrement tu apprendrais mieux ce que je t’enseigne, et je ne perdrais pas mon temps avec toi. Je suis, en vérité, bien bonne de me casser la tête pour une petite fille inappliquée comme toi. J’ai fort envie, je t’assure, de ne plus te donner de leçons.

    - Oh ! ma chère demoiselle, ne faites pas cela ! s’écria la pauvre petite tout en larmes ; mon père serait si content si je savais le calcul ! »


    Anaïs allait répliquer aigrement quand elle aperçut sa mère qui l’écoutait depuis quelques instants, et elle se sentit mal à l’aise.

    « Pélagie, mon enfant, dit doucement Mme Chanella, retourne chez toi ; et tout en faisant ton ouvrage, pense à ce que tu viens d’étudier et tu le comprendras mieux demain. »


    Quand son élève fut partie, Anaïs voulut s’excuser auprès de sa mère.

    « Ma chère, répondit celle-ci, ce n’est qu’avec beaucoup de douceur et de patience que tu parviendras à enseigner le calcul à cette enfant ; et je ne saurais te pardonner l’irritation que tu apportes aux leçons que tu lui donnes.

    - Mais enfin, maman, il faut que Pélagie manque d’intelligence ou de bon vouloir ! Voilà plus de quinze jours que je lui fais répéter sa table de Pythagore d’un bout à l’autre, et elle n’en sait pas encore la moitié. Vous conviendrez, maman, qu’on s’irriterait à moins ! »

    Mme Chanella quitta sa fille sans répliquer, et celle-ci crut l’avoir convaincue.


    Le soir même elles firent une promenade hors la ville. En revenant, elles passèrent devant la maison de la mère Blonde, aïeule de Pélagie. La bonne femme était occupée, ainsi que sa petite-fille, à broyer le chanvre.


    En apercevant les deux dames, elles quittèrent chacune la broye qu’elles menaient si prestement, pour les prier de se reposer un moment  dans leur pauvre maison. Mme Chanella accepta la chaise qu’on lui offrait et s’assit dehors, tout auprès de la porte, et Anaïs dit à sa petite écolière :

    « Pélagie, laisse-moi broyer un peu de ton chanvre ; il me semble que ce ne doit pas être bien difficile ?

    - Oh ! non, c’est une besogne que tout le monde peut faire ; mais mademoiselle, la broye sera bien rude pour vos mignonnes mains qui sont si blanches et si douces ; elle vous semblera bien lourde au bout de votre bras.

    - Tu manœuvres bien cette lourde machine, toi qui n’as que onze ans ; pourquoi ne le ferais-je pas aussi bien que toi, moi qui en ai treize ? »


    Et, quittant son chapeau et son mantelet, Anaïs prit une poignée de chanvre brut d’une part et le manche de broye de l’autre ; puis elle imita les mouvements qu’elle venait de voir faire à la mère Blonde. Elle n’eut pas donné deux coups sur les tiges dures du chanvre, qu’elle s’arrêta tout essoufflée, convenant elle-même qu’en effet la machine était rude et lourde ; mais elle continua par amour-propre, et finit péniblement de broyer le peu de chanvre qu’elle avait entrepris. Alors elle tomba sur une chaise tout épuisée.


    « Je vous l’avais bien dit, cria la bonne femme en riant ; je savais bien que ce n’était pas là un outil de demoiselle !

    - Mais comment fait donc Pélagie ? Elle est pourtant moins forte que moi !

    - Ha ! dame, voyez-vous, j’ai commencé par lui donner seulement quelques brins de chanvre à broyer, pour que ça ne fut pas trop dur ; petit à petit, j’ai augmenté la dose, voilà comment elle s’est habituée à cet ouvrage pénible ; et aujourd’hui, elle y est quasi aussi habile que moi. Et puis, ma chère demoiselle, les pauvres gens comme nous sont bien forcés d’exercer leurs bras de bonne heure, afin de pouvoir gagner leur vie. Pélagie, quoique bien plus faible que vous, fait déjà bien des choses que vous ne pourrez jamais faire. »

    Madame Chanella prit congé de la mère Blonde et rentra chez elle avec sa fille.


    « Comprends-tu maintenant, Anaïs, lui dit-elle, pourquoi cette enfant n’apprend pas la table de multiplication aussi facilement que tu l’as apprise ?

    - Mais non, chère maman !

    - Pourquoi ne peux-tu broyer le chanvre comme elle ?

    - C’est que je n’ai pas, comme elle exercé la force de mes bras.

    - Eh  bien ! ma fille, Pélagie n’a pas comme toi exercé la force de son intelligence, et ce qui pour toi est facile lui offre de grandes difficultés.

    - C’est juste, maman, je n’avais pas du tout pensé à cela.

    - Il est fort probable que ton élève ne comprend pas non plus qu’une fille grande et forte comme toi ne puisse supporter pendant cinq minutes le travail que, plus faible et plus petite, elle fait des heures entières. Et…

    - Je sais ce que vous aller me dire, chère mère : vous me trouvez déraisonnable de m’irriter contre la difficulté qu’elle éprouve à me comprendre, tout comme elle l’eût été de me gronder parce que je ne puis broyer le chanvre.

    - Précisément, ma fille : imite la mère Blonde, en donnant à Pélagie peu de chose


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  • L'école de mon quartier


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