• Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 23

     

    Dans un village où règne l’ennui, la moindre trouvaille est source de rumeurs et de conjectures. Le bruit courut très vite que quelque chose avait été découvert près de l’Hôtel Pochon. Le presque rien du départ enfla de messes basses en confidences. Garenne au début de l’affaire, il se transforma en ville souterraine et même en grotte au trésor ! On venait rôder autour d’un mystère d’autant plus irritant qu’il demeurait soustrait aux regards inquisiteurs.

     

    Dès le week-end dernier Adèle Hermenier a dû faire face à un afflux inhabituel de clients mus par la soif de révélations alléchantes. Mais elle n’a pas pu les satisfaire au-delà du peu qu’elle avait observé. Pas grand-chose, pour autant que nous sachions : deux ou trois portemanteaux pendus dans l’obscurité. Cependant les imaginations les plus débridées ont trouvé là de quoi satisfaire trente-six fantasmes.

    Ce lundi Adèle Hermenier n’a pas eu davantage le temps de souffler car Lelièvre et son équipe ont sonné à sa porte avant huit heures.

    Derrière le mur abattu, qui présentait une brèche à sa base, se dressait une armoire sans fond Hublot de cavedont le plancher a cédé lorsque l’un des hommes y a posé le pied. Un paquet de vieux chiffons informes (qui ont sans doute servi de berceau à plusieurs générations de chatons) a glissé sur le sol de terre battue. Une légère poussée a suffi à ouvrir les portes avec un grincement de fer rouillé.  Alors s’est révélé une salle d’assez vastes dimensions surmontée d’une voûte d'arête. Sous l’action d’infiltrations et de racines, une partie du plafond s’est détachée. Mais l’ensemble est plutôt bien conservé. En face d’un hublot de sous-sol aveugle, une banquette de la largeur d’un lit d’une personne, taillée dans le rocher, précède l’emplacement d’une cheminée dépouillée de son manteau. Au passage ils ont noté plusieurs niches dont l’une accueille toujours une lampe tempête d’un autre âge.

    Mais la cave dans son tréfonds recelait encore des secrets. Dans un recoin on a découvert une baie de porte à feuillure qui dissimule, au bout d’un couloir de quelques mètres, le départ d’un escalier étroit creusé dans le calcaire. Toutefois un éboulement n’a pas permis de franchir plus d’une quinzaine de marches.

    Il y a déjà dans ces premières trouvailles un sujet inépuisable de conversations. Chacun spécule sur l’origine et l’utilisation de ce sous-sol ; sur ce qui reste à explorer. Par ailleurs se pose la question de la section extérieure au jardin.  Jusqu’où va-t-elle ?  Monsieur Dessablettes n’a pas tardé à apporter son grain de sel. Selon ses supputations, il se pourrait qu’on vienne de découvrir les fondations du château disparu de la cité et qu’un souterrain l’ait relié à son propre manoir en un temps lointain.

    —Quand même, monsieur, une galerie de près de dix kilomètres, cela paraît improbable ! proteste l’un des ses confrères de l’association.

    —Oh ! Vous savez, en matière d’archéologie on fait parfois des découvertes étonnantes, rétorque Dessablettes piqué au vif.

    —Quoi qu’il en soit, intervient un troisième, les portemanteaux ne remontent pas au moyen âge ! Cette cave a été occupée récemment. Par qui ? Pour quoi ? Mystère !

    —Et puis, ajoute un quatrième, j’ai entendu dire que l’armoire serait de style Louis-Philippe. A quelle époque situez-vous son règne ? Ce qui intrigue c’est cette penderie dont la destination était, de toute évidence, de masquer l’entrée du boyau et de garantir une échappatoire. Il faudrait interroger les anciens ou consulter les archives, si elles existent.

     

    Les dernières investigations ont permis d’explorer les premiers mètres d’un goulet qui s’enfonce sous terre derrière la propriété, puis forme un second coude en direction de la vieille ville. Certains membres de l’association Arts et Sciences évoquent la possibilité d’un souterrain-refuge peut-être très ancien.

    A travers ces interminables discussions madame Hermenier trouve une source de divertissement inégalable.  Elle trottine d’une table à l’autre, s’invite, donne son avis, parle de voussoirs, d’arc à clef de voûte, de coussièges, etc. Elle est si charmante qu’on l’écoute, tandis que sa fille, très loin qu’elle s’était faite de son salon de thé, court sans répit.

     

    N.B. Ceci est une fiction

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire


  • En dépit des nuages qui s'accumulent au-dessus de l'Europe, maman, son frère et leurs parents profitent plus que jamais de leurs vacances à Préfailles au cours de l'été 1939. Ils sont même accompagnés de nouveaux venus, tantes et cousins.

    Bien que la guerre ait été déclarée le 3 septembre, l'optimisme renaît. En novembre on se congratule mutuellement au sujet des photos prises pendant l'été. Tout cela nous rappelle de bien heureuses heures. Puissions-nous les revoir l'été prochain : espérons que la guerre sera finie et que vous pourrez joyeusement prendre d'heureuses vacances ! -inconscience ou désinvolture ? Pourtant le frère de maman avait été enrôlé, et il ne donnait guère de nouvelles. Des mariages avaient dû être différés du fait des événements.


     

     Nous arrivons au coeur de l'été 1940. Il n'est plus question de vacances. L'armistice a été signé le 22 juin. Chacun se dit rassuré, heureux, profondément heureux  que le frère de maman ne soit ni prisonnier ni blessé, et tout le monde espère le voir bientôt rendu à la vie civile. Début juin des réfugiés venus du Nord et de Belgique ont envahi notre région. La famille de maman, qui dispose d'une assez vaste habitation, en héberge. Parmi ceux-ci une relation de Préfailles débarque épuisée après avoir dû camper sur un quai de gare pendant huit jours, avec ses deux enfants. Curieux hasard !

    Enfin, au cours de l'été les réfugiés rentraient chez eux, remplacés par les habits verts. M.B. note, non sans ironie : comme vous nous sommes abondamment occupés. Elle trouve les soldats allemands toujours corrects et même aimables avec (elle). (Le ton s'aigrira plus tard). Toutefois elle constate que si les salons des villas voisines sont bien tenus, greniers et remises ont été pillés. Aussi conclut-elle : s'ils restent des mois, je me demande ce qu'il restera des maisons. 

    Les préfaillais entendent des bruits de tirs et d'explosions dans la région, sans savoir au juste ce qui se passe.

     

     

    Avec son régiment, le frère de maman avait gagné le Havre à pied, d'où il devait embarquer pour Narvik en Norvège. Mais en cours de route les soldats avaient reçu un contrordre et étaient revenus, toujours en marchant à leur point de départ ! Pendant ce temps ses parents avaient multiplié les interventions et démarches auprès d'élus et d'autorités locales pour obtenir que leur fils ne quitte pas la France.
    Le 22 mars 1940, un sénateur répondait à son père :

    Cher Monsieur,
    J'ai lu votre lettre du 20 Mars.
    J'interviens immédiatement en faveur de M.votre fils auprès du Ministre de l'armement, mais je crains fort que son jeune âge ne lui permette pas d'obtenir une affectation spéciale.
    Veuillez agréer, cher Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

    Puis le 23 avril 1940, à sa mère :


    Chère Madame,
    J'interviens pour que votre mari
    (!) ne soit pas envoyé en Norvège, mais je dois vous dire que les interventions parlementaires ne sont pas toujours satisfaites - loin de là- par l'autorité militaire...
    Croyez, chère Madame, à mes meilleurs sentiments.

     

     

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire

  •  

    Mais en 1937 un fait marquant préoccupe nos estivants et provoque chez eux plus d'agacement que d'interrogations. Le Front Populaire est passé par là et a institué les premiers congés payés. Le Casino de Préfailles a été vendu par ses propriétaires à la CGT -aux "rouges", comme on dit alors. Une colonie de vacances communiste compte y accueillir des enfants de Melun pendant l'été. De nouveaux vacanciers affluent à Préfailles, pas du goût de tous. En août, une amie écrit à maman : Il y a beaucoup de monde. Mais quel monde commun ! Le Casino est peuplé de bonshommes en casquettes et de femmes qui parlent mal (...) Il paraît que certains mangent sur le pouce. Aussi quelque jour j'irai avec mes jumelles jeter un coup d'oeil dans la salle à manger. C'est lamentable !

     

     



    En 1938 le ciel s'assombrit brusquement. Peut-être les habitués de Préfailles comprennent-ils soudain que de grands bouleversements sont en cours ? L'ambiance devient morose. Les dames B. se plaignent de ce que leur écluse (sorte de bassin artificiel au milieu des rochers, délimité par un muret de pierres verticales, construit en arc de cercle) n'a rien donné au cours de l'hiver parce qu'il n'a pas gelé. Pour Noël elle n'ont donc pas pu envoyer (par autocar) un colis de marée chez les parents de maman.

    Mars 1938, M.B. se désole : Le Casino est en train d'être exhaussé de deux étages sur la salle à manger ce qui nous masque deux maisons. Nous en sommes bien ennuyées. Actuellement le drapeau rouge flotte sur la construction, faite par des ouvriers parisiens.

     

     

     

     

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire