•   A la mi-octobre le frère de maman écrit à ses parents (carte ci-contre) qu'il a enfin pu rendre visite à leur amie M.B. de Préfailles. Ce sont des retrouvailles que celle-ci espérait depuis quatre ans. Il restera deux jours chez elle. Ensemble ils iront à la Pointe Saint-Gildas (méconnaissable) puis à la pêche du côté de Quirouard, avant qu'il reprenne le bateau de Mindin pour regagner Saint Nazaire. Peu après il sera muté à Donges.






     

    Préfailles, 19 novembre 1943
    Il est encore question d'évacuer quelques habitations à Quirouard et du côté de Narjagham. Quelle terrible calamité pour les désignés ! Nous sommes bien inquiets de cette nouvelle menace... M.B.

    En effet la Wehrmacht, installée depuis peu à Quirouard et à la Plaine-sur-Mer, avait décidé de vider toute la côte de ses habitants dont la plupart des maisons seront pillées après leur départ.

     

    Les restrictions et les méfaits de la guerre s'appesantissaient  toujours davantage sur les français. Peu à peu la révolte laissait place à la lassitude. Chacun soupirait : quand cela finira-t-il ?

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  •  

    Le salon de thé (base)

     

    Semaine 25

     

    Mercredi dernier une grosse nuée d’orage a contraint un groupe de randonneurs à se réfugier dans l’abri le plus proche, Chez Adèle H., le seul du quartier. Monsieur et madame Delyon occupaient déjà l’une des banquettes et faisaient face aux Mukaschturm. Ils papotaient avec fièvre de la préoccupation actuelle des esprits oisifs : la pièce souterraine et ses secrets. Quel usage a pu en être fait pendant la guerre ? Il est impossible que les demoiselles Pochon en aient ignoré l’existence.

     

    Les arrivants, captivés par la conversation, se sont rapprochés des deux couples et mademoiselle Hermenier, tout en assurant le service, tend l’oreille. Au fil des échanges, elle en apprend un peu plus sur ces étranges dames.

    Madame Mukaschturm évoque une visite qu’elles rendirent à ses parents autrefois. Elles étaient arrivées coiffées de larges chapeaux surchargés de fleurs ou de plumes qui semblaient sortis tout droit des malles leurs arrière-grands-mères. Femmes joyeuses, d’un commerce aimable, elles avaient ravi la fillette.

    —Elles représentaient de beaux partis, fait-on remarquer. Elles auraient pu se marier.

    —Croyez-vous qu’elles auraient été aussi bêtes ?  s’esclaffe Delyon qui, en dépit de ses prétendues origines lyonnaises, est né dans la maison d’en face, comme son père et une lignée d’aïeux. Pourquoi se seraient-elles encombrées de maris alors qu’elles étaient riches et libres. N’oublions pas q’avant 1965 une femme n’avait pas le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son époux.  Et c’était lui qui gérait ses biens ! N’est-ce pas Biquette ? Tu l’as échappé belle, hein, madame Delyon !

    —Mais il y a les sentiments, le besoin d’être aimée, l’instinct maternel…

    —De ce côté elles n’avaient pas froid aux yeux !

    —Vous extrapolez, proteste madame Mukaschturm.

    —Allons donc, Violaine, elles fricotaient avec les boches ! Vous étiez encore gamine, mais combien de fois ma mère m’a raconté que la plus vieille s’affichait partout avec le grand officier blond qui logeait chez elles. D’ailleurs au moment de l’épuration elle s’était évaporée, comme par hasard !

    —Tuberculeuse, elle était partie se faire soigner dans un sanatorium en Suisse, rectifie madame Mukaschturm.

    —Des bruits couraient pourtant, insiste une randonneuse. On a dit qu’elle était allée accoucher en Suisse. Quelques-uns prétendaient qu’elle s’y était fait avorter…

    —Les rumeurs, les rumeurs, il faut les prendre pour ce qu’elles valent, souffle une voix derrière leur dos.

    Qui a prononcé ces paroles ? Les visages demeurent impénétrables.

     

     

    On se tourne vers mademoiselle Hermenier dans l’espoir de recueillir des informations de première main. Hélas, elle en sait encore moins qu’eux tous.

     

    N.B. Ceci est une fiction

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 24

     

    Adèle Hermenier a les pieds assez ancrés sur terre pour ne pas se nourrir d’illusions devant l’engouement produit par les récentes découvertes au fond de son jardin. Un jour le soufflé retombera au risque de mettre à mal son salon de thé trop éloigné des axes de grande circulation. Déjà sa plus fidèle cliente, Alice Vergnaud, a pris la route des vacances en direction d’Oléron. D’autres ne vont pas tarder à l’imiter. Les Tchang ont prévu de partir en juillet. Quentin aussi.

     

    A l’ennui que lui avaient d’abord causé l’effondrement de son terrain et les dommages au mur d’enclos, succède non pas de l’enthousiasme, mais plutôt l’attrait des vestiges et de leur mémoire perdue. Plusieurs fois Adèle Hermenier est redescendue seule à la cave munie d’une lampe phare et en a examiné les moindres détails. Des niches à plancher surbaissé et à rainures horizontales (dans lesquelles étaient glissés tiroirs et étagères) béent à l’emplacement d’anciens garde-manger. L’épaisseur de son placage confirme l’authenticité de l’armoire. Le fond, aujourd’hui disparu, à n’en pas douter faisait office de porte dérobée.

    Il arrivait qu’elle s’assît un long moment sur la banquette de pierre, attentive à saisir l’atmosphère de cet antre de réclusion autrefois ouvert sur l’extérieur comme le prouve l’existence d’un soupirail. Qui a pu séjourner ici ? Pourquoi ?

    Lors de son dernier passage Adèle Hermenier a découvert sous la poussière du sol une pièce de deux francs estampée 1941. L’ultime occupation de cette salle souterraine n’est donc pas si éloignée. Quelqu’un dans le bourg ou le quartier sait quelque chose, ne serait-ce que parce que le couloir d’accès a été bouché par une maçonnerie. Avis que partage monsieur Dessablettes qui ne contient plus son impatience d’avancer dans la prospection, persuadé par ailleurs qu’elle conduira jusqu’à son manoir ! N’a-t-il pas, dit-on, accaparé monsieur le maire pour obtenir que l’équipe d’archéologues délégués en mission sur le terrain vienne sonder son vieux puits ? Il aurait obtenu gain de cause à la condition expresse d’en prendre le coût à sa charge.

     

    L’intérêt soudain relancé, les langues vont bon train aux heures d’affluence. Pendant la guerre, et bien avant puisqu’elles y sont nées, les sœurs Pochon vivaient dans l’hôtel particulier. Elles en avait hérité de leur père qui lui-même l’avait reçu de leur grand-père qui l’avait fait édifier. La dernière survivante le vendit en viager à un certain Marcou. Il passa ensuite aux mains de Keller, un américain qui l’a dépecé en appartements. Du temps des sœurs Pochon la propriété conservait encore de la prestance. Par la suite le parc a été amputé d’une part non négligeable de ses arbres centenaires pour faire place aux parkings. A l’intérieur du bâtiment les immenses pièces ont été presque toutes morcelées ce qui en a amoindri le faste originel.

     

    Mais qui étaient les sœurs Pochon ?  On sourit autour de la table à thé. Les plus âgés se souviennent d’elles, de ces femmes qui semblaient évadées d’un autre siècle et qui ne sortaient jamais l’une sans l’autre. Elles avançaient toujours de front toutes les trois, comme égarées dans un temps qui n’était pas le leur. Quel temps ? Peut-être le Moyen Âge… Elles rappelaient certaines figures des manuscrits enluminés. Elles ne se pliaient à aucune convention.  Quand il était encore de mise de sortir chapeautées, elles se promenaient cheveux au vent. Y compris l’aînée dont la chevelure grisonnante ondulait plus bas que la ceinture. Leurs visages peu communs rappelaient ceux des poupées de porcelaine. La ressemblance entre elles frappait au point que les deux plus jeunes passaient pour jumelles alors qu’un an les séparait tandis qu’on hésitait à attribuer à la plus âgée la place de mère ou de sœur. Leurs jupes longues flottaient jusqu’au pied. Personne n’aurait été surpris de les voir un jour couronnées de fleurs des champs.

    De quoi vivaient-elles ? De leurs rentes. Elles étaient fortunées.

     

    N.B. Ceci est une fiction

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire