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    Le salon de thé (base)

     

    Semaines 27, 28, 29, 30

     

    Plan cave

     

    Que s’est-il passé à l’Hôtel Pochon au cours des quelques semaines d’absence de la narratrice ? Nombre d’événements insignifiants, quelques découvertes et deux surprises dont la moindre ne fut pas l’apparition fugitive à la télévision –mais aussitôt repérée par les habitants du quartier qui en gardaient le souvenir- de l’ancienne locataire du rez-de-chaussée lors d’une émission de tourisme gastronomique. L’administratrice du blog Art de la table et des jardins exploiterait aujourd’hui ses talents culinaires dans son minuscule restaurant de Calabre, terre de ses ancêtres. Madame est aux fourneaux tandis que son grand fils sert les clients. De monsieur il n’a pas été question. Bien sûr la nouvelle s’est répandue jusque dans le salon des dames Hermenier qui n’ont pas eu l’avantage de connaître la famille Lucullus.

    —Ainsi, s’enquièrent-elles, un service de restauration aurait donc déjà fonctionné ici ?

    On se récrie autour d’elles. Cette activité n’avait rien de professionnel. Il ne s’agissait (officiellement) que de réunions privées et amicales. L’ex-locataire demandait juste une participation aux frais d’approvisionnement (toujours officiellement).

    Hormis Alice, notre voisine, isolée loin des médias sur son île de sable, personne n’est au courant de l’existence du blog Art de la table et des  jardins géré par Lucullus, alias madame. Et Alice, la seule qui aurait pu se précipiter sur internet pour vérifier s’il a repris vie, n’en sera informée qu’à son retour à la fin de l’été. A moins que le flot intarissable des qu’en-dira-t-on n’ait déjà eu raison de la rumeur en septembre.

     

    Comme prévu, au début du mois deux spéléologues du club voisin ont débarqué avec leur matériel pour sonder la galerie qui fait suite au sous-sol de la quatrième terrasse. Ils en ont établi la topographie. La configuration des lieux confirme l’existence d’un souterrain-refuge, sans doute très ancien, taillé dans le calcaire.

    Le goulet à voûte ogivale, assez bas pour obliger les hommes à s’y déplacer à demi courbés, forme un premier coude, puis un second en arc de cercle et se prolonge ensuite en direction de la campagne. Bien que le plafond ait cédé par endroits la progression des deux hommes n’a jamais été interrompue avant la chatière qui précède une chambre en carène renversée, de dimensions assez modestes. Celle-ci comporte sur son pourtour une banquette taillée dans la roche.  Des tas de terre meuble se sont formés sous l’emplacement des conduits d’aération.

    Un boyau prolonge cette première pièce et débouche sur une autre cavité plus vaste et fermée par une nouvelle chatière qui a conservé son tronc de cône encore muni de sa chaîne.  Au pied de l’une des parois une vasque ceinte d’un muret a été creusée dans le sol pour recueillir les eaux de ruissellement qui ont en partie inondé le plancher de terre battue. Enfin les spéléologues ont noté l’amorce d’un troisième couloir, plus large et plus haut, encombré de pierres. Ils reviendront à la fin du mois parachever leur exploration.

     

    Quelques jours après des terrassiers ont dégagé l’escalier de la cave.  Au-dessus d’un petit palier à mi-hauteur, des marches de pierre  succèdaient aux degrés taillés dans le roc.

    Soudain les rares clients du salon de thé ébahis ont vu émerger de la pelouse en contrebas le buste d’un ouvrier ! Etonnement et déception chez Adèle Hermenier désormais acquise à l’existence d’un dédale sous-jacent à l’hôtel. Il n’y aurait donc eu qu’une cave à usage domestique, tombée dans les limbes après la vente de l’Hôtel Pochon ? Toutefois la question des raisons qui conduisirent à l’abandon de ce local spacieux, dont on aurait pu tirer parti, reste entière.  En outre, à quoi bon masquer une porte murée au moyen d’une armoire sans fond s’il n’y avait rien à cacher ? …sauf… sauf le souterrain-refuge…

    La désillusion est aussi dans le camp des Dessablettes. Le sondage de leur puits n’a donné aucun résultat. Cette légende d’un réseau enfoui qui aurait relié leur manoir à celui du Rhiu est maintenant établie bien que des générations l’eussent transmise comme une véracité. Néanmoins Dessablettes s’entête dans la recherche d’un deuxième puits sur sa propriété.

     

    Le départ des peintres américains et celui des premiers vacanciers, le temps automnal qui a succédé à la chaleur précoce ont plongé le quartier dans une sorte de léthargie estivale. L’animation se concentre le long de la grand rue, loin de Chez Adèle H., à peine fréquenté. Un entrefilet dans plusieurs quotidiens locaux n’a pas suffi à secouer l’indifférence des touristes. Claude Roux dont la froidure hivernale et une légère intervention sur Varech ont grevé le budget évite le salon de thé par nécessité économique. Les Mukaschturm rendent visite à leur famille en Alsace. Sébastien et Aude Launay se sont accordé un congé de quinze jours. Cependant que Delyon reste à son poste d’observation… jardin  oblige !

     

    La semaine suivante Delyon se rengorgeait au centre de son auditoire. Pour une fois qu’on lui demandait de s’exprimer au lieu de le faire taire, il plastronnait. Il savait des choses. Et ces gens instruits autour de lui attendaient ses lumières. Mademoiselle Hermenier avait enfin consenti à l’interroger sur les faits et gestes des occupants de l’Hôtel Pochon au cours de la dernière guerre.  Il n’était qu’un témoin indirect, mais au sein des familles quelquefois on parle davantage qu’à l’extérieur.  Delyon  croyant paraître intelligent minaudait. Il alourdissait son récit d’anecdotes au lieu d’aller droit au fait et rapportait plus de commérages que de vérités établies. Les filles Pochon étaient rouées. Elles ménageaient la chèvre et le chou ; les boches et les bons français. Certes, mais ses parents à lui, avaient-ils remarqué des travaux dans les jardins, des mouvements suspects ?

    —Ah ! Non alors ! Mémé était femme de charge chez les Pochon. Elle s’en serait aperçue ! Jamais elle ne m’a parlé de quoi que ce soit.

    —En êtes-vous sûr ? C’est étrange cet escalier qui ne débouche nulle part. Pourtant quelqu’un l’a emprunté pendant ou après la guerre.

    Delyon baisse le nez, contemple ses genoux, se frotte le menton. Non, il ne voit pas…

    —Mais si, pétard ! Crie-t-il en relevant la tête et en se frappant le front. Quand j’étais enfant il y avait encore cet espèce d’enclos bordé d’une haie de grands fusains. Ma grand-mère et ma mère faisaient la lessive et y étendaient le linge à l’abri des regards !

    —Vous rappelez-vous quelque chose qui aurait ressemblé à une trappe ? insiste mademoiselle Hermenier.

    —Non. Mais il y avait, si je me souviens bien, une sorte de cagibi dans lequel le jardinier remisait ses outils et préparait ses plants, précise Delyon.

    —Voilà la réponse ! se réjouissent en chœur ses interlocuteurs. Y êtes-vous entré ?

    —Non jamais ! Interdiction d’y fourrer le nez… Mais je ne vois pas qui elles auraient pu cacher dans la cave. A moins qu’elles y aient entreposé des marchandises destinées ou achetées au marché noir. Que voulez-vous que ce soit d’autre ?  Après tout elles étaient riches les demoiselles !

    —C’est une éventualité…

    —Pardi, une certitude ! appuie Delyon.

     

    Alors que le secret du sous-sol semblait élucidé, les spéléologues sont revenus achever leur inspection. A vrai dire ils ont à peine réussi à creuser une excavation au sommet des éboulis. Mais cette ouverture leur a permis de jeter un œil dans la dernière chambre découverte. Elle n’a rien de commun avec les précédentes. C’est, ont-ils rapporté, une grotte naturelle aménagée sans doute pour y célébrer un culte. Les photos de médiocre qualité qu’ils ont pu prendre révèlent une partie de bas-relief recouvert de concrétions calcaires. On y distingue un vague personnage coiffé d’une sorte de bonnet et penché sur un être indéfini... Peut-être une scène de lutte ?

     

     

    N.B. Ceci est une fiction

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  • Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 26

     

    La canicule est tombée d’un coup. Hommes et animaux se terrent à l’ombre. La rue est désertée. Chez Adèle H. se dépeuplait. Mais voici qu’une clientèle nouvelle et inattendue fréquente le salon de thé depuis peu. Des américains se répandent dans le quartier pour en peindre les aspects les plus typiques. Quelques-uns déplient leur chevalet sur le trottoir, devant le jardin de monsieur-je-sais-tout qui ainsi ne manquera rien. D’autres installent leur matériel un peu plus haut. Ils portent canotiers, chemisettes de bayadère ou de coton fleuri sur des bermudas de toile bise. Selon toute apparence, ce sont des jeunes retraités.

    Sous le soleil qui assomme ils persévèrent à peindre avec application. Lorsque la soif enfin les torture, ils viennent se désaltérer chez Adèle Hermenier. Ils lui font admirer leurs œuvres où n’est omis aucun détail, pas un panneau de circulation ne manque. Résultat d’un travail laborieux d’amateur. Il n’empêche que, si elle n’avait craint de paraître ridicule au regard de ce qu’elle expose, elle aurait bien craqué pour un petit tableau exécuté avec beaucoup de soin. Cette notoriété soudaine l’intrigue car la découverte des souterrains n’a guère été ébruitée au-delà des limites du canton. Après tout, pour le moment, il n’a été question que de « trous » qui n’ont peut-être servi qu’à relier des caves entre elles.

    La semaine prochaine deux spéléologues viendront explorer le boyau qui fait suite au sous-sol hors des murs de la propriété. D’après monsieur Dessablettes et certains membres d’Arts et Sciences la partie effondrée dans le jardin des Hermenier serait un ajout récent qui aurait mis en communication le sous-sol de l’ancien château avec une galerie bien antérieure à son édification. Il reste à déterminer la date et les motifs de son creusage.

    Madame Hermenier demeure pour sa part persuadée qu’il remonte au plus tôt à la deuxième guerre mondiale. Mais sa fille objecte que les voisins les mieux situés auraient remarqué le va-et-vient des ouvriers ou certaines modifications topographiques. De plus, comment s’assurer du silence des terrassiers et des maçons ? Monsieur Delyon pourrait sans doute les éclairer, bien qu’elles redoutent qu’il ne leur fasse part que de on-dit. Lui-même n’était pas encore né. Il a dû néanmoins entendre des anecdotes de la bouche de ses parents. Adèle hésite encore tant il excelle à transformer la moindre allusion en scandale.

     

    Claude Roux de son côté est allée consulter les vieux cadastres de la ville. L’emplacement du château est indiqué sur les plans qui précèdent la Révolution. Il était de surface relativement modeste, sis en retrait de l’hôtel actuel. Seul un chemin vicinal le desservait. Le tracé de  la rue date du dix-neuvième siècle. Nulle part il n’est fait mention de souterrain ou de citerne.

    Par ailleurs mademoiselle Di Felice et monsieur Cérusier (d’Arts et Sciences) ont trouvé aux Archives des documents qui attestent de la vente du manoir confisqué au marquis du Rhiu et cédé au citoyen Quarier. Ce dernier après l’avoir démantelé en a revendu pierres, poutres et ardoises à divers particuliers ou entrepreneurs de la région. Il est possible qu’il ait destiné le sous-sol à son propre usage, comme cave. Laquelle, pour d’obscures raisons, aurait été ensuite abandonnée puis oubliée. Ces faits attestent que le marquis du Rhiu avait émigré pendant la révolution. Il semblerait qu’il soit rentré en France après la loi d’amnistie du 6 floréal de l’an X et que ses biens qui n’avaient pas été vendus à des particuliers lui aient été restitués.

    De son côté monsieur Cérusier, en compulsant de vieux registres paroissiaux, a relevé le mariage, en 1873, d’Adélaïde du Rhiu avec Marc-Antoine Pochon, négociant en draps. Celui-là même qui fit construire ce prétentieux hôtel particulier vingt ans plus tard. Nous pouvons en déduire que les sœurs Pochon descendaient par les femmes des seigneurs du lieu. Elles auraient pu dès lors recueillir des confidences familiales et apprendre l’existence d’un réseau souterrain, refuge peut-être de leurs aïeux en période trouble, ou cachette de prêtres réfractaires.

     

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    Le salon de thé (base)

     

    Semaine 25

     

    Mercredi dernier une grosse nuée d’orage a contraint un groupe de randonneurs à se réfugier dans l’abri le plus proche, Chez Adèle H., le seul du quartier. Monsieur et madame Delyon occupaient déjà l’une des banquettes et faisaient face aux Mukaschturm. Ils papotaient avec fièvre de la préoccupation actuelle des esprits oisifs : la pièce souterraine et ses secrets. Quel usage a pu en être fait pendant la guerre ? Il est impossible que les demoiselles Pochon en aient ignoré l’existence.

     

    Les arrivants, captivés par la conversation, se sont rapprochés des deux couples et mademoiselle Hermenier, tout en assurant le service, tend l’oreille. Au fil des échanges, elle en apprend un peu plus sur ces étranges dames.

    Madame Mukaschturm évoque une visite qu’elles rendirent à ses parents autrefois. Elles étaient arrivées coiffées de larges chapeaux surchargés de fleurs ou de plumes qui semblaient sortis tout droit des malles leurs arrière-grands-mères. Femmes joyeuses, d’un commerce aimable, elles avaient ravi la fillette.

    —Elles représentaient de beaux partis, fait-on remarquer. Elles auraient pu se marier.

    —Croyez-vous qu’elles auraient été aussi bêtes ?  s’esclaffe Delyon qui, en dépit de ses prétendues origines lyonnaises, est né dans la maison d’en face, comme son père et une lignée d’aïeux. Pourquoi se seraient-elles encombrées de maris alors qu’elles étaient riches et libres. N’oublions pas q’avant 1965 une femme n’avait pas le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son époux.  Et c’était lui qui gérait ses biens ! N’est-ce pas Biquette ? Tu l’as échappé belle, hein, madame Delyon !

    —Mais il y a les sentiments, le besoin d’être aimée, l’instinct maternel…

    —De ce côté elles n’avaient pas froid aux yeux !

    —Vous extrapolez, proteste madame Mukaschturm.

    —Allons donc, Violaine, elles fricotaient avec les boches ! Vous étiez encore gamine, mais combien de fois ma mère m’a raconté que la plus vieille s’affichait partout avec le grand officier blond qui logeait chez elles. D’ailleurs au moment de l’épuration elle s’était évaporée, comme par hasard !

    —Tuberculeuse, elle était partie se faire soigner dans un sanatorium en Suisse, rectifie madame Mukaschturm.

    —Des bruits couraient pourtant, insiste une randonneuse. On a dit qu’elle était allée accoucher en Suisse. Quelques-uns prétendaient qu’elle s’y était fait avorter…

    —Les rumeurs, les rumeurs, il faut les prendre pour ce qu’elles valent, souffle une voix derrière leur dos.

    Qui a prononcé ces paroles ? Les visages demeurent impénétrables.

     

     

    On se tourne vers mademoiselle Hermenier dans l’espoir de recueillir des informations de première main. Hélas, elle en sait encore moins qu’eux tous.

     

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