•  Le salon de thé (base)

     

     

     

    Tasse de thé copie

    15h45 – Nul ne s’est encore présenté. C’est la désolation chez les Hermenier. Les oreilles d’Adèle bourdonnent des reproches de son frère. Elle dilapide sa part d’héritage dans une entreprise insensée, lui a-t-il martelé la veille au soir. Et tout à l’heure encore, au moment de s’asseoir à la table de leur mère avec sa femme, il le lui a répété. Sans doute a-t-elle été folle en effet de tout engloutir dans un projet mal évalué.

    Soudain la clochette tinte à l’entrée. Il y a des voix, des piétinements ; quelqu’un approche. La figure réjouie de Sébastien Launay apparaît dans l’embrasure de la porte du hall, derrière le double rideau qui sépare le comptoir réfrigéré de la salle. Aude et quelques amis le suivent. On les embrasserait. Mademoiselle Hermenier misait sur des gens d’âge mûr et c’est la jeunesse qui se pointe ! On les accueille comme des relations  de longue date.

     

    Les jeunes gens se sont arrêtés à l’entrée de la pièce. Le décor surprend, tout de blanc, de gris, de bleu pâle, égayés d’infimes touches plus chaudes. Mademoiselle Hermenier s’est inspirée du style gustavien afin de ne pas heurter l’harmonie originellement blanche et grise des murs  et de conserver une certaine luminosité à l’ensemble. Les couleurs vives éclatent dehors, dans le jardin qui verdoie, où fleurissent rhododendrons et lilas. Ce lieu ressemble davantage au salon d’un hôtel particulier qu’à une salle de restaurant. Tel était d’ailleurs le but recherché.

    Tout de suite Adèle Hermenier invite la petite bande à occuper deux banquettes en angle devant la bibliothèque et offre à chacun son cadeau de bienvenue, puis prend commande. Les goûts sont variés. Elle craint d’être quelque peu dépassée. Mais si, elle s’en sortira aussi bien que lorsque ses parents recevaient de nombreux invités.

    Une deuxième fois la sonnette résonne. Tout le monde tourne la tête vers l’entrée. Claude roux –c’est elle- n’ose avancer au-delà du comptoir. Madame Hermenier lui fait signe :

        Approchez ! Vous allez vous joindre à nous.

    Elle hésite. La vie l’a rendue casanière. Elle a longtemps balancé avant de se décider à descendre.

        Nous vous attendions, ajoute madame mère pour l’encourager, avant de faire les présentations.

    A son tour Claude reçoit un sachet de thés et de macarons et commande un thé russe. On parle du temps, de la décoration, des œuvres accrochées aux murs tandis que la jeunesse s’amuse à côté.

    La famille des dames Hermenier s'éclipse au moment où tante Alice, notre voisine, fait son entrée. Tout naturellement celle-ci s’installe à la table de madame Hermenier. Elle pensait être la dernière. Mais non, la plupart des invités se font attendre. Les Launay et leurs amis sont déjà sur le point de partir.

    Alors que plus personne ne compte sur elle, la famille Tchang arrive à son tour pour occuper la place laissée vacante par les jeunes. On se salue au passage, comme de vieilles connaissances. Sur ces entrefaites deux amateurs d’art s’assoient autour d’une table à thé, bientôt suivis de trois autres clients que mademoiselle Hermenier accueille à bras ouverts.

    Mais la surprise du jour est, à n’en pas douter, le passage inattendu de monsieur-je-sais-tout-je-vois-tout et de madame. Une dispute conjugale a précédé leur venue, monsieur refusant de se frotter à la haute, cependant que madame jugeait que, pour une fois qu’il se passait quelque chose dans ce quartier, mieux valait en profiter.  Comme souvent chez  ceux qui crient de loin, la soi-disant forte personnalité de Philippe Delyon se ratatinait au fur et à mesure que la distance entre lui et les victimes de ses invectives s’amenuisait. Très à l’aise, madame Delyon serre des mains tandis que son mari crachote des bonjours à peine audibles. Les Delyon ont pris place à l’écart et bavardent en aparté.

    Presque tous sont repartis. Le salon de thé va fermer lorsque Quentin, échalas timoré, se présente.

        Quel dommage que vous n’ayez pas accompagné Sébastien ! s’exclame mademoiselle Hermenier dès qu’elle l’aperçoit. Vous auriez été plus à l’aise entre jeunes. Il faudra revenir avec eux, insiste-t-elle tandis qu’il sirote une orangeade et triture sa part de tarte à la rhubarbe.

     

    L’après-midi est terminé. Adèle Hermenier referme la porte derrière Quentin. Elle n’aura pas fait fortune aujourd’hui. Mais cela aurait pu être pire.

     

    N.B. Ceci est une fiction

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  • Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 18

     

    Dans l’aube transparente, énorme, la roue terreuse d’une souche dressait ses griffes à contre-jour sur le ciel encore livide. Perchée au bord de la première terrasse, mademoiselle Hermenier se dit qui les dommages étaient peut-être moins étendus qu’elle ne l’avait imaginé. Mais lorsqu’elle descendit jusqu’à la troisième terrasse, elle déchanta. Dans sa chute un frêne centenaire avait entraîné le mur d’enceinte sur quelques mètres et il gisait parmi les moellons et les taillis. Pire, une excavation crevait la quatrième terrasse ! Un chat miaulait au fond du trou. Elle se rapprocha à pas prudents. Le chat insistait encore et encore. Maudit animal ! Pourquoi donc était-il allé se fourrer dans un pareil endroit ? S’il y était entré, il devait bien pouvoir en sortir ! Elle l’appela :

        Viens ! Allons viens !

    Le chat miaulait de plus belle ; courait d’un bout à l’autre de la crevasse.

        Ne soit pas stupide ! Viens donc !

    Elle remarqua un déplacement dans l’ombre et reconnu deux chatons. Elle ne savait que faire pour les sortir de là. Et il avait fallu que cet accident se produisît un dimanche ! Elle remonta chez elle en colère.

     

    La souche

    Madame Hermenier marchait à sa rencontre. Elle lui expliqua avec vivacité ce qui s’était produit pendant la nuit.

        Il ne te reste plus qu’à avertir la mairie pour qu’elle en interdise les abords, commenta sa mère.

        Un dimanche ! s’exclama mademoiselle Hermenier très fâchée. A quelques jours de l’ouverture du salon de thé ! ajouta-t-elle, encore plus maussade.

        Tu n’arrangeras rien en t’énervant, bafouilla madame Hermenier qui craignait le courroux de sa fille.

    Très vite un attroupement se forma à la lisière du parc. Chacun commentait les événements de la nuit. Adèle Hermenier dû intervenir pour enjoindre au groupe de rester en retrait à cause des risques d’affaissement du terrain. On vit à ce moment une chatte et ses petits sortir d’un buisson au bord de la route.

     

    Enfin le samedi 7 mai 2011, ce jour tant attendu, est arrivé ! Adèle Hermenier peine à le croire. Pendant des semaines elle a vécu dans un rêve. Celui de son désir sur le point de s’accomplir. Mais chacun le sait, l’imagination ne se conforme jamais à la réalité  soit qu’elle l’embellisse soit qu’elle la noircisse.

    Aujourd’hui mademoiselle Hermenier est dans ses petits souliers. D’ici à deux heures, elle ouvrira les portes de SON salon de thé. Elle ne parvient pas à y croire. Elle a été si débordée depuis dimanche qu’elle n’a pas trouvé un instant pour douter. Il lui a fallu régler cette question d’arbre et de trou en contrebas. Toutefois, elle leur en sait gré, les services techniques municipaux ont fait diligence pour circonscrire et mettre hors d’accès l’espace incriminé. Par précaution la terrasse de son jardin sera fermée aux clients. Elle a dû évaluer la quantité de pâtisseries à commander, mettre en place les boissons, la vaisselle, les deux dessertes qu’elle utilisera comme à la maison. Les plaques gravées « Chez Adèle H.  Salon de thé » ont été vissées à droite du portail ainsi qu’à l’entrée de l’hôtel. Les tableaux sont accrochés aux cimaises dans le hall et le salon.

    La femme de l’un des boulangers de la petite ville est pâtissière. Elle excelle dans ses deux spécialités : les tartes et les cakes. Pourquoi aller chercher ailleurs ce qu'on peut se procurer sur place ?  Elle s’en tiendra à cela. L’apprenti a livré les gâteaux dans la matinée. Pourvu qu’Adèle ait bien évalué ses besoins… Ses mains papillonnent au-dessus des sachets de papier cristal que froncent des bolducs pastel, maintenus par des étiquettes autocollantes au nom de l’établissement. Elle en vérifie plusieurs fois le contenu, des échantillons de thés divers et quelques macarons de couleurs acidulées.

     

    L’heure fatidique sonne enfin. Madame mère trône dans la lumière du bow-window devant une tasse de thé, déjà prête à recevoir. Adèle Hermenier, la main gauche, tourne la clef de la porte d’entrée.

    Qui sera leur premier hôte ? Et si personne ne se présentait…

     

    N.B. ceci est une fiction

     

    Exceptionnellement, suite de ce chapitre dimanche ou lundi.

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    Le salon de thé (base)

     

     

    Semaine 17

     

    Le dimanche de Pâques, en fin d’après-midi, Claude allait s’engager sur un sentier forestier quand de larges gouttes tièdes commencèrent à s’étaler dans la poussière. L’orage menaçait. Elle fit demi-tour en tirant Varech qui renâclait à rentrer. La pluie cessa au moment où elle ouvrait sa porte. Le soleil semblait avoir repris ses droits. Mais cette averse n’était que le prélude de la tempête qui fit rage au cours de la nuit. La grêle battait les persiennes, le tonnerre roulait sans fin et faisait vibrer les vitres, le vent secouait en rafales les cimes des grands arbres du parc qui jaillissaient hors de l’obscurité à chaque éclair. Soudain le ciel parut se rompre et déversa des trombes d’eau jusqu’au petit jour.

    Une mare s’était formée à l’entrée de la résidence qu’on ne pouvait franchir sans se mouiller les pieds au-dessus de la cheville. Les pelouses détrempées ressemblaient à un marécage. La rue par endroits était ravinée. Le ruisseau au fond de la vallée charriait des remous sauvages. On avait besoin d’eau, mais à ce point tout de même…

    Le lendemain il se remit à pleuvoir dans la matinée. Pendant trois jours éclaircies et ondées alternèrent. Adèle Hermenier ne pouvait plus circuler dans son jardin sans chausser des sabots de caoutchouc. Si le temps ne s’améliorait pas d’ici au 7 mai, il ne serait plus question d’installer des tables à l’extérieur. Elles n’étaient pas indispensables. Mais ses dernières plantations avaient été emportées avec la terre en bas des escaliers. Elle essaya tant bien que mal de réparer les dégâts sous l’œil goguenard de monsieur-je-sais-tout qui la lorgnait par-dessus son mur. Il la vit s’arrêter, aller et venir au bord d’une terrasse, le buste incliné, occupée à scruter il ne savait quoi.

     

    Alice se morfondait. Elle rouvrit l’ordinateur qu’elle délaissait depuis plusieurs semaines. Déjà elle n’existait plus pour les surfeurs du net. C.S-qui s’est lancé dans les recettes assez élaborées qu’il dédaignait à ses débuts. Devait-elle se manifester ? Elle hésita, renonça, avant de cliquer sur l’adresse de Titi. Celle-ci avait abandonné les rats au profit d’un tour du monde dont  elle situait la première étape à Copenhague. Alice se laissa quelques instants envahir par des souvenirs presque oubliés dont elle s’arracha très vite pour jeter un coup d’œil chez Claude qui s’essayait aux sagas Islandaises. Ses textes sont toujours aussi passionnants et si bien amenés. Un soudain coup de foudre obligea Alice à débrancher son poste.

    Le beau temps réapparut enfin, assécha le sol et l’été précoce se poursuivit. Toutefois, en fin de semaine il pleuvait de nouveau.

     

    Dans la nuit de samedi un bruit énorme d’effondrement, lent, interminable, envahit l’espace et jeta à bas du lit tous les habitants de l’immeuble. Claude s’est réveillée en sursaut. A-t-elle rêvé ? Varech dressé sur son séant à ses pieds la dévisage. Elle se précipite à la fenêtre et  tente de distinguer quelque chose à l’extérieur au travers des fentes de ses volets. Le perron n’a pas bougé. Du côté de l’entrée (le seul qu’elle puisse apercevoir) tout paraît normal. Au rez-de-chaussée Alice court d’une pièce à l’autre. Elle ne note rien de particulier à l’ouest ou au sud. Le vallon à l’est est plongé dans une obscurité impénétrable où elle ne distingue que la nuit. Comme elle, les Tchang et les Launay se penchent aux fenêtres, en vain. Quentin, l’apprenti, s’est jeté sur les œils-de-bœuf de sa mansarde. Il ne voit rien d’autre que les halos des lampadaires à l’extrémité de la rue. Il tend l’oreille et n’entend ni cri ni appel. Le calme est revenu. A tous les étages on se recouche sans être parvenu à identifier l’origine de ce bruit épouvantable.

     

    Lampe de poche

     

    Sauf Adèle Hermenier qui, le cœur affolé, cherche fébrilement une lampe de poche tandis que Mme mère s’est assoupie. Elle appréhende que ses craintes n’aient été prémonition. Le jardin disparaît dans le noir. La lumière que répand l’oriel n’éclaire que ses abords immédiats. Le faisceau de sa lampe danse au bout de son pied. Il fait trop sombre, elle doit rebrousser chemin et patienter jusqu’au lever du jour…

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